© : Sheet Music Singer.

Nouvel article de ma rubrique qui s’arrête sur des mots et des expressions propres aux textes du blues, dont on ne trouve pas la traduction dans les dictionnaires traditionnels (*). Il s’agit essentiellement d’expliquer le sens de ces termes nés lors de la conception du blues, soit dans les années 1880, en les remettant dans le contexte des compositions des musiques afro-américaines. Aujourd’hui, arrêtons-nous sur yard, un simple mot de quatre lettres aux nombreux sens. Le terme désigne d’abord une unité de mesure (0,914 m), mais aussi un jardin ou une cour. En argot, un yard est aussi un billet de 100 ou 1 000 dollars. Enfin, associé à d’autres termes, il a différentes significations que l’on retrouve régulièrement dans les paroles du blues, arrière-cour (backyard), basse-cour (barnyard) et cimetière (graveyard) étant les plus courants.

L’Original Dixieland Jazz Band. © : Musicologie.

Dans le blues, le sens le plus fréquent se réfère à la cour, au jardin ou à l’environnement dans un sens plutôt large. Ainsi, dans sa chanson Yellow man blues de 1927, Buddy Boy Hawkins chante : « Ma femme noire a besoin d’argent / C’est pourquoi je travaille si dur / Et si je ne continue pas d’assurer / Elle trouvera un autre homme noir dans mon coin [in my yard] ». Un peu plus tard, en 1935, Blind Willie McTell nous dit dans Hillbilly Willie’s blues : « J’ai une fille chez les Blancs [in the white folks’ yard] / Elle ne boit pas d’alcool mais elle se débrouille bien. » Dans ce dernier exemple, le terme yard désigne une maison ou un domicile bien précis, et se rapporte sans doute à une domestique employée chez des Blancs. Quant à la seconde phrase (en anglais : She don’t drink liquor but she do play cards »), elle est certainement à double sens, to play cards pouvant signifier « bien se débrouiller » ou « faire l’amour »…

© : Stefan Wirz.

Mais revenons à yard. En 1907, Chris Smith et Henry Troy composent Farm yard blues (I miss my Mississippi home), le blues de la cour de ferme, dans lequel ils évoquent également la basse-cour (barnyard) : « J’ai le blues de la cour de ferme / J’aimerais des nouvelles de la basse-cour. » Cette chanson sera enregistrée en 1917 par Fred Feild, qui signe alors une interprétation qui a peu à voir avec les musiques afro-américaines originelles, mais les paroles auraient pu être écrites par n’importe quel bluesman, voir notamment le sous-titre (mon Mississippi natal me manque). Toujours en 1917, le 26 février exactement, l’Original Dixieland Jazz Band enregistre le tout premier disque de jazz de l’histoire, Livery stable blues, auquel les artistes intègrent issus des sons de la cour de ferme et de la basse-cour, dont des imitations de cloches de vache et de hennissements ! Et la même année, la formation enregistre Barnyard blues.

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Concernant le blues, la grande Bessie Smith fut certainement la première à populariser une chanson en 1923 dans un registre toutefois différent, en l’occurrence Graveyard dream blues, dans lequel elle demande au fossoyeur de lui rendre l’être aimé… D’autres reprendront ce thème du blues du cimetière (graveyard mais aussi boneyard) dont Memphis Minnie, John Lee Hooker et bien sûr de la basse-cour avec Howlin’ Wolf sur la magnifique composition de Willie Dixon Little red rooster… En 1927, sur Jim Tampa blues, que Lucille Bogan chante avec un Charlie Jackson génial au banjo, on retrouve le sens le plus répandu : « Chaque fois que je me réveille, je vois Jim Tampa chez moi [in my yard]. » Mais pour illustrer cet article, je vous propose comme à l’accoutumée une sélection de chansons en écoute.

© : Discogs.

Farm yard blues par Fred Feild en 1917.
Livery stable blues et Barnyard blues par l’Original Dixieland Jazz Band en 1917.
Graveyard dream blues par Bessie Smith en 1923.
Jim Tampa blues par Lucille Bogan en 1927.
Yellow man blues par Buddy Boy Hawkins en 1927.
Hillbilly Willie’s blues par Blind Willie McTell en 1935.
Lumber-yard blues par Robert Hill en 1936. Le blues de la scierie…
Bone yard blues par Memphis Minnie et Little Son Joe en 1939.
Graveyard blues par John Lee Hooker en 1959.
Little red rooster par Howlin’ Wolf en 1961.
Yard boy blues par Super Chikan en 2008. Le blues du jardinier dans cette chanson, yard boypouvant par ailleurs se traduire par garçon de ferme.

(*) Rubrique réalisée avec entre autres sources les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington et les livres Talkin’ that talk – Le langage du blues et du jazz de Jean-Paul Levet (Outre Mesure, 2010), Barrelhouse Words – A Blues Dialect Dictionary de Stephen Calt (University of Illinois Press, 2009) et The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu de Debra Devi (True Nature Records and Books, 2012).

 

Super Chikan. © : RVA News.