© : Arte.

Que dire face à l’ignominie ? Face à l’ineptie ? L’esclavage n’est pas né du racisme, il l’a engendré. Et comme il ne se suffisait toujours pas à lui-même, il enfantera la ségrégation, le colonialisme. Aboli, l’esclavage n’est pas mort, mais comme il s’exprime au sein même de certaines sociétés, vis-à-vis de leurs propres enfants, de leurs propres femmes, il est moins « visible », étouffé mais toujours aussi étouffant. La ségrégation et le colonialisme incarnent la séparation des peuples, ils s’emploient à flageller la seule couleur qui devrait importer, celle du sang. Le racisme me rappelle l’ascension d’une montagne. Quand on monte, liés par une corde salvatrice qui se mue aussi en force unificatrice, on l’abandonne derrière soi. Il n’a pas sa place. Et quand vient l’instant de fouler la cime, on l’oublie, on se congratule, on s’embrasse. Bon sang, quel bonheur ! Et puis, vient l’heure de la descente. Tout montagnard le sait, sa descente a des allures sisyphéennes. Car en bas, le racisme, qui n’allait quand même pas se fatiguer à grimper au sommet, l’attend. On le reconnaît très vite. Il n’est pas seul. Les lâches sont grégaires, c’est bien connu. À son bras, s’agrippe sa maîtresse préférée, perverse, satanique. Elle se fait appeler violence.

© : Austin History Center / TV5 Monde.

Attention à ne pas tout confondre, me diront certains. Certes, esclavage, ségrégation, colonialisme et racisme diffèrent. Mais au gré de l’Histoire, ils finissent par se confondre. Et surtout, par nous confondre. Les routes de l’esclavage sont souvent sinueuses. Toujours pavées des pires intentions. Ces routes multiséculaires, Fanny Glissant, Daniel Cattier et Juan Gélas ont décidé de les emprunter en 2018. Ils sont les auteurs d’une série absolument remarquable intitulée Les routes de l’esclavage, déclinée en quatre épisodes : « 476-1375 : Au-delà du désert » (Grecs, Romains, Arabes, premières incursions portugaises en Afrique), « 1375-1620 : Pour tout l’or du monde » (les Européens arrivent en Afrique), « 1620-1789 : Du sucre à la révolte » (le commerce triangulaire, la déportation des Africains vers la Caraïbe et les Amériques) et « 1789-1888 : Les nouvelles frontières de l’esclavage » (les abolitions qui n’empêchent toutefois pas l’explosion de la déportation).

© : France-Antilles.

Ce soir à partir de 20 h 50, la chaîne Arte diffuse les quatre épisodes de 52 minutes (208 minutes au total) de cette série Les routes de l’esclavage. C’est en réalité une rediffusion, mais bien que je l’aie déjà vue plusieurs fois, je ne manquerai pas de la revoir. Car nous devons rendre hommage aux victimes de ces atrocités. Nous avons ce devoir de mémoire à entretenir même si c’est douloureux. Nous devons, même au plus modeste niveau comme le mien (lire mon article « De l’esclavage au blues » du 10 mai 2022), condamner ces pratiques et tout faire pour qu’elles ne se reproduisent plus. Il y a quelques heures, à Columbus dans l’Ohio, Donovan Lewis, un jeune Afro-Américain de vingt ans, sans arme, a été abattu dans son lit par un policier. Certes, les circonstances restent à déterminer, mais les images font froid dans le dos. Une triste raison de plus pour ne jamais laisser ce passé s’oblitérer. Si vous ne pouvez assister à la série ce soir, elle sera rediffusée mercredi 14 septembre 2022 à partir de 10 h 20, et il est aussi possible de la voir directement sur le site d’Arte à cette adresse.

La mare au punch à Marie-Galante, haut lieu de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe en 1848. © : Daniel Léon.

Les musiques qui nous passionnent sont issues de l’esclavage. Les évoquer est la vocation première de ce site, et je vous propose donc maintenant une sélection de vidéos en lien avec ce thème (chansons, témoignages, reportages, films…).
Wade in the water, par les Sunset Four Jubilee Singers, 1925. Spiritual écrit au XIXe siècle, qui servait aux esclaves en fuite qui empruntaient le réseau de l’Underground Railroad, que j’évoque dans mon article « De l’esclavage au blues » (voir plus haut).
La prière de l’esclave, par Daniel Forestal, 2001.
I’ll be so glad when the sun goes down, par Ed Lewis et d’autres détenus du pénitencier du Mississippi, à Parchman Farm, 1959.

Ti Raoul Gravilliers et l’un de ses enfants, Sainte-Marie, Le Pérou, Martinique, 17 mai 1962. © : Alan Lomax.

22 mai, par le Martiniquais Ti Raoul Grivalliers, 2004. Je m’arrête sur cet artiste dans ma série « Premiers enregistrements de terrain en Guadeloupe », épisode 2 et épisode 4.
Commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, Pointe-à Pitre, 2019.
Slave Songbook: Origin of the Negro Spiritual, 2013. Passionnant reportage sur un livre paru en 1867, un des premiers recueils sur les negro spirituals au temps de l’esclavage.
Black Music : Des chaînes de fer aux chaînes en or, film de Marc-Aurèle Vecchione, 100 minutes, 2008.

Affiche promettant une récompense pour un esclave en fuite dans le Missouri. 23 août 1852. © : The Gilder Lehrman.

An nou sonjé 22 mé 1848, par le Martiniquais Christophe Frontier, 2021.
The Real History of Slavery – Southern Negro, 2021. Formidable document qui rassemble des témoignages enregistrés d’anciens esclaves afro-américains, comme Frederick Douglass et Harriet Tubman, dont je parle aussi dans mon article « De l’esclavage au blues ».
Commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, Pointe-à Pitre, 2019.