Coincé entre le Mississippi à l’ouest et la Géorgie à l’est, l’Alabama n’attendit pas de faire partie des États américains (l’Union) pour être propice à l’esclavage. Si les premiers esclaves venus d’Afrique touchèrent terre au XVIIe siècle, sur la côte est des États-Unis, soit du nord au sud en Virginie, en Caroline du Nord et du Sud, et donc en Géorgie, ils arrivèrent sans doute en Alabama dès la fin du XVIIIe. Et en 1819, au moment de l’entrée de l’Alabama dans l’Union, le tiers de la population de l’État, qui compte alors environ 130 000 habitants, se compose d’esclaves. L’essor de la culture du coton, facilité par l’invention de l’égreneuse dès 1793, ne fera qu’amplifier le phénomène, d’autant que l’Alabama connaît une démographie galopante après 1820, sa population totale étant proche du million d’habitants quand la guerre de Sécession éclate en 1861. Et 45 % d’entre eux, soit 430 080 pour être précis sont des esclaves (source : Encyclopedia of Alabama) … Après la guerre, l’Alabama ratifie le traité d’abolition de l’esclavage en 1865, mais l’État reste parmi les plus féroces lors de la ségrégation qui s’installe progressivement, qui se traduit par des systèmes d’exploitation comme le métayage (sharecropping), de longues détentions pour des délits mineurs dans des pénitenciers qui sont en fait des bagnes, des sévices en tous genres dont bien entendu des lynchages. Dans les années 1950 et 1960, l’Alabama est au centre de la lutte pour les droits civiques, avec plusieurs événements clés.


– Le boycott des bus à Montgomery (la capitale de l’État) suite à l’affaire Rosa Parks, cette Afro-Américaine arrêtée pour avoir refusé de laisser sa place à un Blanc dans un de ces bus.
– Les Freedom Riders, des militants en faveur des défenseurs des droits civiques qui utilisent des bus pour leurs actions. En mai 1961, ils partent de Washington et envisagent de traverser les États de la côte. Est, l’Alabama et le Mississippi pour rallier La Nouvelle-Orléans en Louisiane. Ils sont victimes des plus violentes répressions en Alabama, à Anniston et surtout à Birmingham (la plus grande ville de l’État), où les militants sont passés à tabac par des membres du Ku Klux Klan, avec l’assentiment du commissaire de la sécurité publique et sous protection policière.
– Les trois marches de Selma à Montgomery en 1964, qui eurent d’autant plus d’écho que Martin Luther King fut invité à s’y exprimer, furent également émaillées de graves violences. Le 9 juin 1964, cinq cents personnes se rassemblent à la First African Baptist Church, une église de Tuscaloosa. Des policiers et des résidents blancs les agressent, les battent et les repoussent à l’intérieur de l’église, leur interdisant d’entamer leur marche pacifique. La situation s’envenime avec des affrontements durant lesquels les résidents blancs utilisent des matraques et des battes de base-ball, pendant que la police lance du gaz lacrymogène par les fenêtres de l’église. Plus de quatre-vingt-dix militants sont arrêtés et trente-trois blessés, parfois gravement, l’un d’entre eux perdant un œil. Cette triste journée est aujourd’hui connue sous le nom de Bloody Sunday.


De nos jours, le racisme reste prégnant en Alabama, un État parmi les plus conservateurs. Un seul exemple : sa constitution et certains documents officiels continuent d’utiliser des termes issus des lois Jim Crow, distinguant personnes blanches et « de couleur ». Et c’est seulement le mois dernier, en septembre 2021, que les législateurs ont enfin décidé de changer le texte de cette constitution, qui sera soumis au vote en 2022. L’Alabama avait déjà donné un autre signe encourageant le 26 avril 2018, en inaugurant à Montgomery le Legacy Museum – From Enslavement to Mass Incarceration. Esclavage, asservissement, ségrégation, mauvais traitements dont tortures et lynchages, incarcérations massives, racisme, violences policières, inégalités qui subsistent, autant de thèmes abordés par ce musée. Nous apprenons que le Legacy Museum, en collaboration avec Equal Justice Initiative (qui agit en faveur de personnes injustement condamnées ou qui n’ont pas eu droit à un procès équitable, et de détenus démunis qui ne peuvent assurer leur défense) vient d’être agrandi et s’étend désormais sur une surface quatre fois plus importante !


Situé en centre-ville, sur le site d’un ancien entrepôt de coton et non loin d’un marché aux esclaves, le musée voit ses collections augmenter de façon significative. Il propose des expositions sur la traite transatlantique, la période de la Reconstruction qui succéda à la guerre de Sécession, celle de la lutte pour les droits civiques au milieu des années 1950, les lynchages avec huit cents échantillons de terre prélevés en différents lieux, et des informations sur la privation du droit de vote et tous les sujets en relation jusqu’à nos jours. Plus de deux cents sculptures inédites d’artistes africains et des vidéos sont désormais visibles. Trois nouvelles ailes voient également le jour. La première est consacrée aux considérations économiques de l’esclavage, la deuxième aux lynchages, avec une analyse du rôle des médias à l’époque et des rapports de descendants de victimes et de témoins de tels sévices, la troisième aux incarcérations de masse et aux mauvaises conditions de détention. Ajoutons à cela un espace de réflexion voué à tous ceux qui combattirent les injustices raciales et une galerie d’œuvres modernes d’artistes et de photographes, et l’on comprendra que nous nous trouvons face à un musée majeur dans ce registre. L’inauguration s’est déroulée sur trois jours, du 1er au 3 octobre 2021, durant lesquels l’entrée était gratuite avec des cadeaux offerts aux visiteurs. Pour en savoir plus, rendez-vous à cette adresse. Photos : © Equal Justice Initiative.