Ce 10 mai 2022 marque donc la publication de mon 500e article sur ce site « Les temps du blues », mais surtout la Journée nationale des mémoires de la traite et de l’esclavage et de leurs abolitions. Tout d’abord un immense merci à celles et ceux qui me lisent, je sais qu’ils partagent ma passion, c’est mon carburant pour continuer, et la récente restauration du site démontre bien que je suis décidé à poursuivre ! Un article n° 500 que je souhaitais aborder sous un angle inhabituel côté musique, mais en ce 10 mai, je voulais aussi qu’il prenne la forme d’un hommage aux victimes de l’esclavage. Pour cela, j’ai trouvé un compromis. Je suis remonté assez loin, au début du XIXe siècle, alors que l’esclavage était encore bien présent aux États-Unis comme dans la Caraïbe. S’agissant du blues, à une époque où il n’existait pas, j’ai choisi quelques dates clés en lien avec l’histoire des musiques afro-américaines, qui mettent en scène des personnages et des événements. Ainsi, à travers les field hollers, les negro spirituals, les hammer songs, les work songs, les minstrels shows, autant de musiques issues de l’esclavage qui serviront de terreau au blues, j’en suis arrivé à cet article. Chaque entrée s’accompagne d’une chanson en écoute, et, quand cela existe, d’une sélection de livres et/ou de films. Je suis parti de l’année 1822, il y a tout juste deux cents ans, ce qui correspond à la naissance d’Harriet Tubman, mon premier personnage. En espérant que cela vous plaise, remontons le temps !
– Vers mars 1822, naissance de Harriet Tubman sous le nom de Araminta « Minty » Ross. Celle que l’on surnommera la Moïse noire naît pourtant esclave dans le Maryland. Fréquemment battue par ses maîtres, gravement blessée à la tête, elle finit par s’enfuir avec deux frères en 1849. Deux ans plus tard, elle commence à aider des fugitifs à fuir vers les États du Nord et le Canada, dans des régions non esclavagistes. Elle emprunte pour cela l’Underground Railroad, ce réseau clandestin qui fera ses preuves en permettant la fuite de quelque cent mille esclaves au XIXe siècle. Bien connue des abolitionnistes au moment de la guerre de Sécession, elle rencontre les principaux responsables, dont des officiers supérieurs de l’armée nordiste. Cette dernière finit par la recruter comme espionne, et en 1863, elle devient la première femme à participer à un assaut armé, qui permet de sauver plus de sept cent cinquante esclaves. Après la guerre civile, Tubman, qui ne bénéficie pas d’une pension de l’armée, s’installe à Auburn dans l’État de New York. Criblée de dettes, elle devra attendre 1890 et la mort de son mari pour obtenir une maigre pension, et 1895 de la part de l’armée. Malgré cela, elle ne cesse pas son activisme et jusqu’à un âge avancé, elle lutte pour que les femmes obtiennent le droit de vote. Ce sera son dernier combat : Harriet Tubman s’éteint le 10 mars 1913, à quatre-vingt-dix ou quatre-vingt onze ans.
À écouter : Durant l’Underground Railroad, les passeurs utilisaient comme codes des spirituals qu’ils modifiaient. Tubman avait l’habitude de chanter Go down Moses, je vous propose donc d’écouter la version des Tuskegee Institute Singers, qui date de 1914, mais la qualité sonore est sidérante !
À voir : le film Harriet (bande-annonce) de Kasi Lemmons (2019).
À lire : Harriet Tubman: The Road to Freedom par Katherine Clinton (Back Bay Books, 2004).
– 1er mai 1845, publication de l’autobiographie Narrative of the Life of Frederick Douglass (Anti-Slavery Office). Frederick Douglass (1817 ou 1818-1895) est né esclave sur une plantation du Maryland. Arrivé encore enfant à Baltimore, il a la chance d’apprendre à lire et à écrire, même si c’est souvent en cachette, et à douze ans, il est correctement instruit. Mais à partir de 1833, un nouveau maître lui inflige de durs sévices. Cinq ans plus tard, il s’échappe avec sa femme, change de nom (il s’appelle en réalité Bailey) et fréquente très vite les milieux abolitionnistes, au sein desquels ses dons d’orateur lui permettent de s’imposer. Il sort donc en 1845 sa première autobiographie, qui sera suivie de deux autres en 1855 et 1881. Les écrits de Douglass, extrêmement novateurs car alors rarissimes de la part d’un ancien esclave, auront un énorme impact dans l’histoire de la culture afro-américaine. Leader du mouvement abolitionniste, il combattra aussi pour l’émancipation et le vote des femmes (il rencontrera d’ailleurs Harriet Tubman à ce propos), discutera du droits des soldats noirs directement avec le président Abraham Lincoln en 1863… En 1872, il devient le premier Afro-Américain candidat à la vice-présidence des États-Unis, toutefois à son insu car désigné par Victoria Woodhull, qui se présente à la plus haute fonction. Douglass lui-même occupera d’autres hautes fonctions (dont consul général en Haïti) et poursuivra ses engagements. Le 20 février 1895, après un discours à Washington, il rentre chez lui où une crise cardiaque le foudroie à soixante-dix-sept ans. Son autobiographie nous intéresse tout particulièrement car il y décrit (là encore en pionnier pour un Noir) les field hollers et les work songs qu’il entendit, et sans doute qu’il entonna aussi, lors des travaux dans les champs : « On attend généralement des esclaves qu’ils chantent en travaillant. Les maîtres et contremaîtres n’aiment pas les esclaves silencieux. C’est peut-être la raison de la présence constante des chants dans les États du Sud. (…) Depuis que je vis dans le Nord, je me suis toujours étonné face aux gens qui parlaient du chant des esclaves comme de preuves de bonheur et de satisfaction. Il est impossible d’imaginer plus grave erreur. Plus ils sont malheureux, plus les esclaves chantent. Les chants des esclaves incarnent les peines de leur vie, et leur seul soulagement, comme un cœur endolori, s’exprime par les larmes. C’est du moins mon expérience. » Précieux témoignage, qui démontre combien ces chants inspirèrent le blues…
– À écouter : en 1947, Alan Lomax a enregistré des prisonniers à Parchman Farm. Cette vidéo contient deux chansons, Rosie et Levee camp holler.
– À lire : la version française de son autobiographie, La vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrite par lui-même (Gallimard, 2006).
– À voir : Frederick Douglass: An American Life (1985), un documentaire de 33 minutes en intégralité.
– En 1848, naissance de John Henry. Du moins, on le suppose, car nul ne sait si ce personnage légendaire a bien existé… Bref, si on admet que c’est le cas, Henry travaillait comme steel-driving man, sur les voies ferrées, et il était plus particulièrement chargé de forer à coups de masse des trous dans les rochers dans lesquels on mettait les explosifs pour creuser les tunnels. Une tâche particulièrement pénible qui exigeait une force herculéenne. En outre, malgré l’apparition d’une machine qui facilitait le travail, Henry refusa de se séparer de sa masse, ce qui donna une dimension héroïque à son personnage… Il serait mort d’épuisement (ce qui est loin d’être avéré !) entre 1870 et 1872, après avoir pris la machine de vitesse, dans un tunnel en Virginie ou en Alabama. Quoi qu’il en soit, son histoire va largement alimenter l’émergence des musiques afro-américaines. En effet, dès l’époque de la mort de John Henry, elle sera le thème central d’une ballade folklorique portant son nom. Et la masse, le hammer, va jouer un rôle essentiel. Au lendemain de la guerre de Sécession, les détenus afro-américains constituent une main-d’œuvre bon marché pour une Amérique en pleine reconstruction. Beaucoup se retrouvent aux travaux forcés sur les chantiers des digues, des routes, et bien entendu des voies ferrées. Comme les esclaves quelques décennies plus tôt, ils ponctuent leurs chants de coups de masse sur les pierres qu’ils brisent ou les rails qu’ils ajustent. Les hammer songs voient le jour. Également interprétées par des travailleurs itinérants, elles sont modifiées au gré des versions, ainsi va la transmission orale. L’une des plus célèbres, Take this hammer, se « mélangera » même à John Henry en abordant à la fois le thème du travailleur sur voie ferrée et celui du détenu aux travaux forcés : « Cette vieille masse a tué John Henry / Mais elle ne me tuera pas / Prends cette masse, amène-la au gardien (des prisonniers) / Dis-lui que je suis parti, chérie, que je suis parti. » La ballade John Henry sera reprise (et continue de l’être), notamment par des bluesmen, mais elle fera aussi l’objet de multiples films, livres…
– À écouter : bien difficile de choisir au sein des nombreux artistes qui ont interprété cette chanson. J’opte pour Mississippi Fred McDowell et sa version hallucinante…
– À lire : Steel Drivin’ Man: John Henry: The Untold Story of an American Legend, par Scott Reynolds Nelson (Oxford University Press, 2008).
– 1867, publication de Slave songs of the United States, édité par trois abolitionnistes du Nord, William Francis Allen, Lucy McKim Garrison et Charles Pickard Ware. Cet ouvrage fondamental est le premier à rassembler des spirituals. Il compte cent trente-six chansons, avec les partitions et les paroles recueillies directement auprès des chanteurs, auxquelles s’ajoutent des instructions d’interprétations et des éléments historiques. On y trouve notamment Roll, Jordan, Roll, Jehovah, Hallelujah, Michael, row the boat ashore, Turn sinner, turn, Nobody knows the trouble I’ve had, I want to die like a Lazarus die, Lean on the Lord’s side… Autant de futurs classiques qui, réadaptés ou non, alimenteront bien plus tard les répertoires de formations de gospel, mais aussi de blues, de jazz et de soul. Louis Armstrong et Sam Cooke reprendront par exemple Nobody knows the trouble I’ve had, sous le titre Nobody knows the trouble I’ve seen. Mais aujourd’hui, je vous invite à nous attarder sur le spiritual d’ouverture du recueil, Roll, Jordan, Roll, dont les origines remonteraient au XVIIIe siècle : Isaac Watts (1674-1748), théologien et auteur d’hymnes anglais, écrivit There is a land of pure delight, dont est tiré Roll, Jordan, Roll. Introduite aux États-Unis au début du XIXe siècle, la chanson devint très populaire chez les esclaves qui l’utilisaient comme code, et fut consignée et arrangée en 1862.
À écouter : tout simplement la merveilleuse version interprétée par Topsy Chapman dans le film 12 Years a Slave de Steve McQueen (2013).
– Années 1870, les minstrel shows. Ils apparaissent en réalité bien plus tôt, certainement dans les années 1820. Ce sont des spectacles théâtraux itinérants qui incluent des chansons, des sketches, des danses. Mais on doit la première version des minstrel shows, à forte connotation raciste, uniquement aux Blancs, qui par ces spectacles se moquent des Afro-Américains, en particulier en se grimant en Noirs, les tristement célèbres blackface… Je ne m’attarderai donc pas davantage sur ce courant, me contentant de préciser qu’il vivra un apogée dans les années précédant et suivant la guerre de Sécession, avant de péricliter faute de public. Parallèlement, dès les années 1840, des artistes noirs se produisaient au sein de ces shows aux mains des Blancs, l’un des plus fameux étant William Henry Lane (vers 1825-vers 1852), plus connu sous le nom de Master Juba. Mais les premières troupes entièrement afro-américaines prennent vraiment le relais dans les années 1870, avec des spectacles autrement mieux structurés mettant en scène des groupes vocaux, d’autres jouant des marches pour les parades des troupes, les premiers string bands, et une fois encore des spirituals. Le chanteur et banjoïste James Alan Bland (1854-1911) fut un des musiciens les plus notables de l’époque des minstrel shows, auteur de plus de sept cents chansons dont Carry me back to old Virginny, qui deviendra l’hymne officiel de l’État de Virginie de 1940 à 1997. Les compagnies noires perdureront jusqu’au début du siècle dernier, comptant dans leurs rangs les plus grandes pionnières du blues classique, à commencer par Ma Rainey et Bessie Smith, mais aussi Louis Jordan et Rufus Thomas. Les minstrel shows tenus par les Afro-Américains disparaîtront presque totalement vers 1920, mais l’un des plus célèbres, les Rabbit Foot Minstrels, poursuivit sa carrière jusqu’en 1959.
À écouter : Dance, Juba, dance, tiré de l’album de Guy Davis Juba Dance (Dixiefrog, 2013).
– Octobre 1871, fondation des Fisk Jubilee Singers. À l’époque, le blues n’existe pas, et les omniprésents negro spirituals constituent la plus importante forme de musique afro-américaine, mais également la mieux structurée. En 1871, la Fisk University à Nashville, Tennessee, connaît de sérieux problèmes financiers. Son directeur musical et trésorier, George Leonard White (un Blanc), qui souhaite aussi démontrer que les Noirs sont les égaux des Blancs, décide de former un groupe vocal, qui tournera à la fois pour gagner de l’argent et pour démontrer la justesse de sa théorie de l’égalité entre Blancs et Noirs. Il choisit neuf étudiants noirs, cinq filles (Ella Sheppard, Maggie Porter, Minnie Tate, Jennie Jackson et Eliza Walker) et quatre garçons (Isaac Dickerson, Ben Holmes, Greene Evans et Thomas Rutling) qui semblent lui convenir. Le 6 octobre 1871, la formation part en tournée. Les débuts sont hésitants. Les étudiants manquent d’assurance et « gagnent » 50 dollars lors de leur premier concert à Cincinnati, immédiatement reversés aux victimes du grand incendie de Chicago. À leur arrivée dans la ville suivante (Columbus, Ohio), les artistes en herbe sont épuisés, physiquement comme moralement. Pour les encourager, White les baptise The Jubilee Singers, une référence biblique à l’année du Jubilé dans le Lévitique, troisième des cinq livres de la Torah. Ainsi naissent les Fisk Jubilee Singers. Ce sont d’exceptionnels chanteurs, et très vite ils enthousiasment leurs audiences et leur réputation devient nationale. Ils mettent l’université à l’abri du besoin, et fin 1872, à peine un an après leur formation, ils se produisent à la Maison Blanche pour le président Ulysses S. Grant ! Et l’année suivante, ils entament leur première tournée européenne. Les tournées se succèdent jusqu’en 1878, passent par le futur Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas, mais pas la France. White a gagné son double pari : les fonds récoltés permettent la construction en 1876 du Jubilee Hall, qui reste à ce jour le plus ancien bâtiment de l’université, et le groupe afro-américain est plébiscité par le public blanc. Avec des tournées aussi précoces, les Fisk Jubilee Singers sont les premiers à « exporter » des chants issus de l’esclavage et de l’Underground Railroad hors de leurs frontières. En 1909, les signent leurs premiers enregistrements. Depuis, ils n’ont jamais cessé leur activité, fêtant l’an dernier leurs cent cinquante ans d’existence, ce qui en fait assurément le plus ancien groupe de toute l’histoire.
À écouter : en 1909, les Fisk Jubilee Singers gravent leur premier titre, Swing low, swing chariot, qu’ils interprétaient dès les années 1870. Ce chant reste un classique du gospel, mais je vous propose d’écouter cette première version enregistrée de 1909.
À lire : parmi les nombreux ouvrages consacrés au groupe, Dark Midnight When I Rise: The Story of the Fisk Jubilee Singers, par Andrew Ward (Amistad, 2001) et, si vous le trouvez car c’est une édition limitée à 1 000 exemplaires, le livre commémoratif des 150 ans, Heritage & Honor: 150 Year Story of the Fisk Jubilee Singers (collectif, Fisk University, 2021).
À voir : les documentaires The Story of the Jubilee Singers, Who Introduced the World to the Music of Black America (108 minutes, 2000) et Swing Low, Sweet Chariot: 150 Years of the Fisk Jubilee Singers (61 minutes, 2021).
– 16 novembre 1873, naissance de William Christopher Handy. Autoproclamé Father of the Blues, Handy n’était pourtant pas un bluesman, mais un trompettiste, compositeur et chef d’orchestre. Mais son « titre » n’est pas pour autant totalement usurpé, et il va tenir un premier rôle dans l’élaboration du blues au début du siècle dernier. Au début des années 1890, il joue dans un string band puis rejoint en tant que chef d’orchestre les Mahara’s Colored Minstrels, avec lesquels il tourne dans tous les États-Unis et au Canada, mais aussi au Mexique et à Cuba. Vers 1900, il enseigne la musique à Normal, Alabama. La suite nous est familière mais elle mérite toujours d’être contée. En 1903, afin de découvrir les différents styles de musique populaire, W. C. Handy voyage dans le Mississippi, et bien sûr dans le Delta. Là, un jour, en gare de Tutwiler, il voit un musicien qui joue de la guitare slide à l’aide d’un canif, raison pour laquelle on dit aujourd’hui qu’il aurait découvert le blues ce jour-là, devenant aussi le premier à en faire état. Il s’y intéresse dès lors de plus près, et à défaut d’en jouer réellement lui-même, il compose compose et arrange des chansons qui vont faire partie des premiers classiques du blues, The Memphis blues en 1912, Saint Louis blues en 1914, Yellow dog rag en 1915 (renommée Yellow dog blues en 1919) et Beale Street blues en 1917. Cette dernière année correspond à l’enregistrement du premier disque de jazz, et Handy continuera de composer dans les deux genres, au point que d’aucuns n’hésitent pas à le considérer aussi comme le « père du jazz », et Jelly Roll Morton ira jusqu’à écrire qu’il en est l’inventeur ! C’est dire l’influence de Handy sur la musique populaire américaine… En 1941, il écrira son autobiographie Father of the blues en plus de trois autres livres (Blues: An Anthology: Complete Words and Music of 53 Great Songs, Book of Negro Spirituals et Negro Authors and Composers of the United States) qui démontrent l’étendue de son savoir. Devenu aveugle en 1943 suite à un accident, il s’éteignit le 28 mars 1858 à quatre-vingt-quatre ans. Plus de vingt-cinq mille personnes assistèrent à ses funérailles.
À écouter : la version de 1914 du Memphis blues de W. C. Handy interprétée par le Victor Military Band.
À lire : son incontournable autobiographie Father of the blues : An Autobiography (réédition de 1991, Da Capo Press).
À voir : St. Louis Blues (1958, en intégralité à cette adresse), par Allen Reisner, avec Nat King Cole dans le rôle de W.C. Handy, mais aussi Eartha Kitt, Cab Calloway, Ella Fitzgerald, Mahalia Jackson, Ruby Dee (la mère de Guy Davis)… Mr. Handy’s Blues: A Musical Documentary (2016, bande-annonce) de Joanne Fish, avec Taj Mahal et Bobby Rush.
– 30 avril 1900, décès de Casey Jones à l’âge de trente-sept ans. Né le 14 mars 1863 à Cayce (qui se prononce comme Casey, soit « caissi »), Kentucky, John Luther « Casey » Jones travaille d’abord sur la Mobile Ohio Railroad comme garde-frein (ou freineur), puis il devient conducteur sur la prestigieuse Illinois Central Railroad en 1891. Réputé par ses pairs pour prendre parfois trop de risques, ce qui lui vaut quelques suspensions, c’est toutefois un cheminot compétent auquel on confie des trains de passagers à partir de 1900. Cette année-là, le 30 avril, il est donc aux commandes du fameux Cannonball, un express. Vers 4 heures du matin, à Vaughan, Mississippi, alors que le train est lancé à 120 km/h, son machiniste Sim Webb aperçoit au loin un convoi de marchandises à l’arrêt sur la voie ! Jones se rue sur les freins pour ralentir le train en ordonnant à Webb de sauter, ce que celui-ci fait une centaine de mètres avant la collision. L’impact se produit à quelque 60 km/h mais Casey Jones ne survit pas. Il sera toutefois la seule victime. Sans ses réflexes, son courage et son sacrifice, le bilan eût assurément été bien plus lourd. Cet événement vaut à Jones de passer à la postérité, un peu comme John Henry, à la différence qu’il s’agit là de faits bien réels. Son histoire va elle aussi inspirer la chanson The ballad of Casey Jones, sans doute écrite et chantée pour la première fois par Wallace Saunders peu après le décès de Jones (même si la première version écrite n’apparaîtra qu’en 1908). La ballade se propage dans des années 1910 et de nombreux artistes la mettent à leur répertoire (le titre peut varier, Casey Jones, KC Jones, Kassie Jones), dont des songsters et des pionniers du blues rural comme Furry Lewis et Mississippi John Hurt. Mais on la retrouvera dans de nombreux autres styles dont la country, le rock, la pop et même le jazz.
À écouter : Kassie Jones parts 1 & 2 par Furry Lewis en 1928, a priori le troisième enregistrement de la chanson après Collins & Harlan en 1910 et Billy Murray en 1912, et le premier par un Afro-Américain.
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