Michael Ochs Archives / Getty Images.

Impossible pour moi de ne pas m’arrêter sur le 88e anniversaire de la naissance de Little Milton, un de mes chanteurs préférés doublé d’un guitariste émérite. Né James Milton Campbell Jr. le 7 septembre 1934 à Inverness, Mississippi, dans le Delta, il grandit à Greenville, une cinquantaine de kilomètres à l’ouest. Débrouillard et précoce, mais également aidé par un père bluesman à ses heures perdues, il joue dès douze ans dans la rue avec une guitare bricolée, et trois ans plus tard, il a suffisamment progressé pour se produire dans des bars et des clubs pour 1,50 par soirée. Ce qui lui suffit pour se commander une guitare vue dans un catalogue. Quand elle arrive, sa mère s’inquiète et se demande comment il va payer les 14 dollars requis, mais son père intervient et il peut garder l’instrument. Influencé par T-Bone Walker mais aussi les formations étoffées et cuivrées qui accueillent des blues shouters, ses goûts sont en fait assez éclectiques car il écoute aussi des artistes marqués par le gospel et le programme essentiellement country du Grand Ole Opry.

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Sa réputation grandit au début des années 1950, il fait des incursions sur l’autre rive du Mississippi jusqu’à Helena, et fréquente ainsi des musiciens dont Sonny Boy Williamson II et Willie Love, qui le prend dans son groupe, les Three Aces. Et le 1er décembre 1951, à seulement dix-sept ans, le nom de Little Milton apparaît pour la première fois sur disque, chez Trumpet (voir aussi mon article du 10 avril 2022), pour une séance avec les Three Aces qui comptera huit faces, et durant laquelle il n’est présent qu’à la guitare. Milton côtoie aussi Ike Turner (ils deviendront amis proches à Saint-Louis), qui joue alors le rôle de talent scout pour le label Sun à Memphis, et lui permet de décrocher un premier contrat d’enregistrement pour le label de Sam Phillips en 1953, cette fois sous son nom. Mais la vague du rock ‘n’ roll, emmenée par Elvis Presley, séduit de plus en plus Phillips aux dépens des bluesmen. Little Milton signe deux autres singles en 1957 pour Meteor, mais il sent qu’il doit aller voir ailleurs pour faire évoluer sa carrière.

Le premier disque sur lequel joue Little Milton en 1951, avec les Three Aces de Willie Love. © : Stefan Wirz.

Il prend donc la route de Saint-Louis en 1958 où il rencontre l’animateur radio Bob Lyons. Après quelques essais, les événements ne traînent pas, et la même année, les deux hommes fondent le label Bobbin ! Cette évolution aide Little Milton à se faire mieux connaître, et il contribue même au lancement des carrières d’artistes de la stature d’Albert King et Fontella Bass. Avec Bobbin, Milton trouve un accord de distribution avec le label Chess et grave à partir de 1961 des plages pour Checker, la filiale de la célèbre marque de Chicago. Il obtient ses premiers succès, en particulier avec son fameux We’re gonna make it en 1965, qui atteint la première places des charts R&B, et d’autres ballades très appréciées du public sudiste. Après la mort de Phil Chess en 1969, Milton, grâce à ses talents vocaux, se rapproche désormais de la soul tout en intégrant des cuivres à ses formations, et se retrouve fort logiquement chez Stax en 1971. Mais la marque de Memphis connaît à son tour des difficultés qui la conduisent à la faillite quatre ans plus tard.

© : Deezer.

Après cela, Little Milton, qui ne cesse d’enregistrer des albums pour répondre à la demande locale, connaît un peu moins de succès, d’autant qu’on le compare un peu trop facilement à B.B. King et Bobby Bland alors que son style est bien distinctif, surtout quand il se met au blues « pur et dur », citons par exemple l’album « Grits Ain’t Groceries » (Stax, 1972). En se stabilisant à compter du milieu des années 1980, tout en entreprenant des tournées internationales (son « hymne » The blues is alright fut interprété pour la première fois en France !), il s’impose parmi les meilleurs interprètes de soul blues. De 1965 (« We’re Gonna Make It », Checker) à 2005 (« Think Of Me », Telarc), sans compter un live de son dernier concert paru à titre posthume, il nous laisse en quatre décennies quelque trente-cinq albums pratiquement sans déchet. En 2002, en vue d’un article à paraître dans le numéro 170 de Soul Bag (dont il fit aussi la couverture), j’avais eu l’honneur d’interviewer longuement cet artiste majeur, mais surtout de partager un moment merveilleux avec un monsieur plein d’humilité et de sagesse. Moins de trois ans plus tard, ce fut donc un choc d’apprendre la disparition brutale de Little Milton, le 4 août 2005 à l’âge de soixante-dix ans, une semaine après une attaque cardiaque qui l’avait plongé dans le coma.

© : Blues Images by Phil Chesnut Illustration, Design & Photography.

À écouter et voir en public, par exemple ici en 1995 avec My dog and me.

Ou en 1983 à Westville Prison sur un medley mémorable.

Enfin, toujours en 1983 à Westville Prison sur Eight men, four women, vocalement irréel.

 

La couverture du numéro 170 de Soul Bag. © : Soul Bag.