© : Soul Bag.

En préparant la sélection discographique en complément de mon article biographique sur Son House dans le numéro 246 de Soul Bag, j’étais particulièrement impatient d’écouter « Forever On My Mind » (Easy Eye Sound), annoncé pour le 18 mars 2022. Car il ne s’agissait pas de n’importe quel disque. Imaginez : un album inédit de Son House, bluesman parmi les plus influents de l’histoire, tiré de bandes déterrées de la collection de Dick Waterman, son (re)découvreur le 23 juin 1964 cinquante-huit ans plus tôt alors qu’il végétait à Rochester dans l’État de New York, oublié de tous. Et comme les chansons présentes sur l’album ont été enregistrées le 23 novembre 1964, ce sont également les premières de l’artiste après sa redécouverte. On connaît la suite. Son House fera partie des bluesmen majeurs du Blues Revival et apparaîtra dans les plus grands festivals, tout en signant des disques essentiels dont le fantastique « Father of Folk Blues » pour Columbia en 1965.

© : Tinnitist.

Au début des années 1970, l’abus d’alcool l’obligera à se retirer, mais avec ses enregistrements de 1930 et de 1941, il nous laisse une discographie de tout premier ordre. Mais revenons justement à « Forever On My Mind », peut-être bien son tout meilleur, et qui illustre en tout cas parfaitement cette implication qui le caractérisait. Mais cessons les discours, voici ce que j’écrivais dans mon article : « Bien sûr, impossible de ne pas s’arrêter sur cette séance inédite du 23 novembre 1964, la première de Son House après sa redécouverte cinq mois plus tôt jour pour jour. À croire que Son House a effacé le temps, qu’il n’a pas vécu dans l’oubli vingt ans à Rochester, qu’il n’a jamais quitté le Delta. Quelle émotion de le retrouver avec des moyens intacts, avec une musique qui a gardé sa force d’expression. Sept nouvelles lectures de chansons intemporelles, inaltérables, auxquelles il faut ajouter une perle churchy jusque-là jamais enregistrée auparavant par le bluesman, The way mother did. Du niveau de « Father Of Folk Blues ». Au moins. » Je vous propose d’écouter The way mother did. Et j’ajoute ci-dessous la chronique de Benoit Gautier dans Soul Bag.

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SON HOUSE
FOREVER ON MY MIND
DELTA BLUES
Il faut commencer par dire que le titre inédit qui donne son nom à l’album et qui ouvre le disque ne révolutionnera pas votre vision du prêcheur légendaire. C’est un blues à la Son House, dont les paroles sont un patchwork de couplets qui apparaissent dans d’autres chansons. Le vers « Minutes seem like hours, hours seem like days », par exemple, est chanté à trois reprises, dans trois chansons différentes. Mais ça n’a aucune importance. Le titre inédit vise à attirer le chaland, le véritable trésor n’est pas là. Imaginez-vous jeune homme, élève du petit Wabash College, dans la petite ville de Crawfordsville, dans l’Indiana. On est en novembre 1964, on vous dit qu’il va y avoir un concert, et vous y allez sans trop savoir ce que ce sera. C’est cette expérience que nous fait revivre cet enregistrement. La clarté du son est presque parfaite, on entend les doigts de Son House, ses lèvres qui collent parfois, ses raclements de gorge. C’est une expérience intime. L’homme s’ouvre complètement. Comme s’il écartait de ses doigts sa cage thoracique pour laisser ces jeunes étudiants blancs mieux examiner ses organes. Sur Preaching blues, on entend le public rire quand House chante « I wanna be a Baptist preacher, so I won’t have to work ». On rigole moins quand il entame tranquillement Death letter blues. On l’a pourtant entendue une paire de fois celle-là. On en sort pourtant amoché, comme le narrateur de l’histoire qui s’accroche à l’oreiller de sa bien-aimée. Pris dans sa transe, regardant la mort dans les yeux, Eddie « Son » House arrive à produire des sons venus d’ailleurs. Dick Waterman, qui a enregistré ce concert, n’a pas menti : la puissance de Son House en tant qu’interprète semble ici atteindre son maximum.
© : Benoit Gautier / Soul Bag.

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