© : Smithsonian Books.

Dans deux articles fin 2022, le premier le 21 novembre et le second le 11 décembre, nous nous arrêtions sur la parution à venir (le 4 avril 2023) d’un nouveau livre sur Robert Johnson écrit par Mack McCormick (1930-2015) : Biography of a Phantom – A Robert Johnson Blues Odyssey (Smithsonian Books). Il s’ajoute à deux autres publications récentes sur le même bluesman, Up Jumped the Devil: The Real Life of Robert Johnson de Bruce Conforth et Gayle Dean Wardlow (Chicago Press Review, 2019) et Brother Robert: Growing Up with Robert Johnson d’Annye C. Anderson et Preston Lauterbach (Hachette Books, 2020). L’ouvrage vient donc de sortir et nous l’avons reçu mais pas encore lu. Et il ne nous viendrait d’ailleurs pas à l’esprit de porter un jugement avant lecture, mais comme il génère d’ores et déjà de vifs échanges venus d’outre-Atlantique sur les réseaux sociaux et notamment Facebook, il nous semble opportun de faire un premier point.

McCormick chauffeur de taxi ! © : Smithsonian Books.

Selon les informations dont nous disposions en fin d’année dernière, le livre devait se baser sur les travaux menés par l’auteur de la fin des années 1960 pratiquement jusqu’à sa mort survenue en 2015. Cela ne semble pas aussi simple que cela. En effet, nous savons que McCormick a souffert de bipolarité, de paranoïa et autres troubles mentaux qui se sont aggravés avec l’âge. Or, dans une postface signée John W. Troutman pour l’éditeur (que nous avons lue !), il ressort que McCormick avait rédigé un manuscrit initial dès la première moitié des années 1970, rassemblant pour cela des archives comprenant divers documents dont des lettres, des recueils de poésie, des journaux, des photographies, des enregistrements, des notes de terrain, des courriels… Les images présentées dans le livre (dont plusieurs illustrent cet article) en attestent car elles montrent essentiellement des lieux immortalisés dans les années 1970, mais pas à l’époque où vécut Robert Johnson.

McCormick travaille à la rédaction de son livre, printemps 1970. © : Smithsonian Books.

McCormick compta bien sortir son livre dès ces mêmes années 1970, mais il fut repoussé décennie après décennie, et mettre la main sur ses collections tourna progressivement au casse-tête, d’autant que ses problèmes psychiatriques finir par l’empêcher de savoir lui-même où elles se trouvaient, ce qui contribua à le faire passer pour un mythomane. Ses relations avec certains membres de la famille Johnson, dont Carrie Thompson, la demi-sœur de Robert, ou bien Steve LaVere, lui aussi auteur de recherches poussées sur le bluesman, furent tendues et même houleuses. Mais à ce propos, McCormick changea souvent de version, créant un écheveau qui ne sera sans doute jamais démêlé… Dès lors, sachant que le très sérieux Smithsonian’s Museum of American Music a acquis en novembre 2022 les collections de McCormick (connues sous le nom de « The Monster » tant elles sont fournies !), on pensait que le livre proposerait au moins des images d’époque, rares ou inédites. Il n’en est rien, et le seul document d’époque est une reproduction du certificat de décès de Robert Johnson, en fait retrouvé par Gayle Dean Wardlow que McCormick ne cite pas…

Bâtiment de la plantation Abbay & Leatherman, Robinsonville, Mississippi, où grandit Robert Johnson. © : Smithsonian Books.

Une fois encore, ne cédons pas au jugement hâtif, il ne reste qu’à se plonger dans les pages de l’ouvrage ! Ce qu’ont donc déjà fait quelques spécialistes américains, avec des échanges et des avis partagés.
– Le premier à dégainer est le collectionneur John Tefteller, auteur d’un véritable pamphlet à l’égard de McCormick, qu’il qualifie de malade mental et de menteur, expérience personnelle à l’appui.
Il faut ensuite prendre le temps de lire les commentaires du message, riches en enseignements.
– Plus consensuel, John Seabaugh, auteur d’une vidéo de présentation du livre, souligne que l’influence de la paranoïa de McCormick aura plus d’effets à la fin de sa vie.
– Bruce Conforth parle d’une lecture intéressante mais regrette les omissions de McCormick : outre celle de Wardlow, il relève qu’il ne cite pas Steve LaVere et autre Larry Cohn.

Partie de la bibliothèque de Ted Gioia. © : The Honest Broker.

– Sur son site « The Honest Broker », l’historien Ted Gioia, personnage crédible s’il en est, consacre un article à la question, intitulé « A Scandal Is Taking Place in American Music This Week ». Mais derrière ce titre, il nous livre une analyse très pertinente et documentée, aussi objective que possible d’autant qu’il a connu McCormick, et sachant donc qu’il « était son propre pire ennemi »…

© : Salvation South / Don McLeese.

– Avec l’article « Hellhounds and Phantoms », publié cette fois sur le site « Salvation South », Don McLeese, journaliste et professeur d’université, va encore plus loin. Il en profite pour réaliser des biographies de Johnson et McCormick pour évoquer l’ouvrage, et une phrase résume bien son état d’esprit : « La publication à titre posthume du livre, dont l’auteur lui-même a toujours affirmé qu’il ne paraîtrait jamais, nous remet face à deux étranges legs : celui de Robert Johnson, mais aussi celui de Mack McCormick. »

© : Texas Monthly / Michael Hall.

– Citons enfin un autre article, « Hellhounds on His Trail: Mack McCormick’s Long, Tortured Quest to Find the Real Robert Johnson », disponible sur le site de Texas Monthly. Son auteur est le journaliste et musicien Michael Hall, qui a lui aussi bien connu McCormick (également notoire pour ses travaux sur le blues texan), et en particulier les contradictions qui l’habitèrent. Un témoignage là encore précieux.
Nul doute que d’autres commentaires viendront alimenter cet échange. En tout cas, à peine une semaine après sa parution, ce nouveau livre sur Robert Johnson fait déjà beaucoup parler, y compris sur ce site ! Et, comme toujours avec ce bluesman, ce n’est sûrement pas fini…

La Little Zion Missionary Baptist Church, au sud de Greenwood, Mississippi, près de laquelle Robert Johnson est sans doute enterré. © : Smithsonian Books.