Que vous soyez à Marie-Galante, où je vis, ou en France métropolitaine, à l’heure qu’il est, nous sommes le 20 ou le 21 mai. En l’occurrence, ça tombe bien… Car il y a tout juste un siècle, le 20 ou le 21 mai 1923 (parfois, l’histoire hésite), la chanteuse Eva Taylor entre en studio à New York, où elle grave avec son mari le pianiste Clarence Williams deux chansons, From now on blues et Church Street sobbin’ blues. Malgré sa belle voix de contralto, et bien qu’elle figure parmi les pionnières du genre, Eva Taylor ne se distingue en rien des autres chanteuses de ce que l’on appelle le Classic Blues, d’autant qu’elle a déjà enregistré auparavant. Dès lors, nous direz-vous, pourquoi évoquer aujourd’hui cette artiste ?
Eh bien, au-delà du symbole du centenaire des enregistrements cités plus haut, comme nous allons le voir, bien qu’elle soit aujourd’hui complètement oubliée, parce qu’elle figura parmi les premières artistes populaires américaines à se produire en Europe et donc en France, victime bien malgré d’une forme insidieuse de racisme avant de travailler aux côtés des premiers maîtres du jazz. Née Irene Joy Gibbons le 22 janvier 1895 à Saint-Louis, Missouri, elle se produit sur scène dès l’âge de trois ans ! Elle fait partie de la troupe de Josephine Gassman and Her Pickaninnies (« négrillons », hélas…), qui organise des tournées dans le monde entier, en Australie et en Nouvelle-Zélande en 1904, puis en 1906 en Europe et donc en France. À notre connaissance, c’était la première fois que des interprètes des musiques populaires afro-américaines se produisaient en France. Mais il s’agissait bel et bien d’enfants, et bien qu’il n’existe aucun témoignage de maltraitance à leur égard de la part de Josephine Gassman, celle-ci était blanche et apparaissait en blackface (grimée en femme noire) lors des spectacles. Dès lors, s’il importait d’un point de vue historique de rapporter cet événement, nous ne pouvons aujourd’hui occulter son aspect extrêmement dérangeant, et encore moins publier des images à ce propos, bien qu’elles existent…
Bien plus tard, en 1920, Gibbons s’installe à New York où elle obtient des engagements à Harlem. Elle rencontre et épouse l’année suivante Clarence Williams, un pianiste et producteur de jazz qui va travailler avec Sidney Bechet, Louis Armstrong, King Oliver, Eddie Lang, Sippie Wallace, Bessie Smith… Gibbons en profite, prend le nom plus vendeur d’Eva Taylor et enregistre abondamment dans les années 1920 et 1930. Malgré la crise économique, elle parvient à s’en sortir en animant notamment des émissions de radio. Faute d’intérêt pour sa musique au profit d’autres genres, elle se met ensuite en retrait. Mais après la mort de son mari en 1965, elle rebondit et réapparaît lors de tournées qui la mènent en Europe jusqu’en 1976. Elle décède l’année suivante des suites d’un cancer, le 11 octobre 1977 à quatre-vingt-deux ans.
Voici notre sélection de chansons en écoute.
– From now on blues en 1923.
– I’m busy and you can’t come in en 1928.
– West end blues en 1929.
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