© : RTE.

Le chanteur-guitariste canadien a donc quitté la scène le 9 août 2023 à quatre-vingts ans, emporté par un cancer de la prostate. Membre du groupe The Band qui accompagna Bob Dylan pendant une dizaine d’années, il a ensuite travaillé sur de nombreux films et mené une carrière solo ponctuée de six albums (de 1987 à 2019), dans un registre assez éloigné du spectre de ce site. Nous ne nous étendrons pas sur cette période, mais le parcours de Robertson, surtout à ses débuts, montre que le blues l’a fortement inspiré. S’il ne laissera pas un souvenir impérissable comme chanteur (sa voix rauque manquait de souplesse), il fut un parolier de premier ordre et bien sûr un guitariste étourdissant, parmi les meilleurs d’une génération qui en compte pourtant beaucoup.

Robbie and the Rhythm Chords. © : The Philadelphia Inquirer.

Il naît James Royal Robertson le 5 juillet 1943 à Toronto d’une mère amérindienne. À l’adolescence, elle lui avoue que celui qui l’a élevé, James Robertson, n’est pas son père biologique. Ce dernier, Alexander David Klegerman, un joueur professionnel d’origine juive, est mort dans des conditions scabreuses dans un accident de la route alors qu’il fuyait la police… Après avoir appris le piano et la guitare très jeune, Robertson apparaît à treize ans au sein de Little Caesar and the Consuls, le groupe du guitariste de country Gene MacLellan. L’année suivante, il forme Robbie and the Rhythm Chords, qui devient peu après Robbie and the Robots. En 1959, il est repéré par Ronnie Hawkins qui l’engage avec son groupe les Hawks. Il y côtoie quelque temps Roy Buchanan qui sera une influence notable.

Avec Ronnie Hawkins and the Hawks. © : The Philadelphia Inquirer.

Les Hawks comprennent le chanteur et multi-instrumentiste Levon Helm, venu de l’Arkansas, mais les autres musiciens de la formation (Rick Danko, Richard Manuel et Garth Hudson) sont tous Canadiens. Entre 1961 et 1963, ils gravent six faces chez Roulette dont deux reprises de Bo Diddley, Who do you love et Bo Diddley, et une de Huey « Piano » Smith, High blood pressure. En 1964, soucieux de privilégier le blues et la soul, ils quittent Ronnie Hawkins à leurs yeux trop cantonné au rockabilly. Ils se font appeler Levon and the Hawks mais enregistrent leur premier single en mars 1965 chez Apex sous le nom des Canadian Squires, puis deux autres en conservant leur nom d’origine chez Atco quelques mois plus tard. On relève que Robertson signe les paroles de la plupart des chansons.

© : Discogs.

Depuis plus d’un an, ils connaissent le bluesman John Hammond, et en 1965, ils l’accompagnent sur son album « So Many Roads » chez Vanguard, à une époque où les groupes de blues entièrement composés de Blancs sont très rares. Robertson et Helm apparaissent sous les noms de Jaime R. Robertson et Mark Levon Helm, aux côtés d’un harmoniciste, un certain C.D. Musselwhite (et oui, c’est bien Charlie !)… Parallèlement, lors d’une tournée, ils se rendent à Helena, Arkansas. Robertson et Helm, qui admirent Sonny Boy Williamson II, partent à la recherche du bluesman et finissent par le dénicher. Ils lui proposent de venir jouer avec lui et reviennent avec le groupe complet. Mais ils sont brutalement interrompus par des policiers locaux qui les informent qu’il n’est pas question qu’ils jouent avec une bande de Noirs (le terme employé est niggers) et leur demandent de quitter immédiatement la ville sans délai ! Robbie Robertson part en ayant toutefois les coordonnées de Sonny Boy. Quelques semaines plus tard, en vue d’une collaboration, il cherche à le contacter, mais il apprend que le bluesman vient de décéder (le 5 décembre 1965). Robertson relate cette anecdote sidérante dans une interview en 2011 (lien en fin d’article).

© : Heinrich Klaffs.

Robertson jouera sur deux autres albums de John Hammond en 1967, « Mirrors » chez Vanguard (avec encore Musselwhite et Mike Bloomfield… au piano !), et « I Can Tell » chez Atlantic. Entre-temps, en août 1965, Levon and the Hawks sont sollicités par Bob Dylan, ce qui marque le début d’une collaboration qui se poursuivra jusqu’en 1975, alors que le groupe se nomme The Band à partir de 1967. Le 27 août 1976, l’album « No Reason To Cry » d’Eric Clapton sort chez RSO, avec Robertson mais aussi Bob Dylan, Georgie Fame, Richard Manuel, Rick Danko, Robbie Robertson, Ron Wood… Clapton et Robertson resteront proches, et le guitariste anglais jouera sur sept chansons de l’album du Canadien en 2011, « How to Become Clairvoyant » (Macrobiotic). Quant au Band, il enregistre également ses propres albums.

Avec Bob Dylan. © : Guitar World.

Trois mois plus tard, le 25 novembre 1976, le Band donne son concert d’adieu au Winterland Ballroom, à partir duquel sortira deux ans plus tard le fameux film de Martin Scorsese, The Last Waltz. On y voit notamment, pour s’en tenir au blues, Dr. John, Paul Butterfield, Muddy Waters, Eric Clapton, Bobby Charles et les Staple Singers. Sur Further on up the road, Robertson parvient même à surpasser Clapton ! Il se spécialisera ensuite dans le cinéma, comme producteur, compositeur et musicien, travaillant sur plus de trente films dont plusieurs de son ami Scorsese : Raging Bull (1980), The King of Comedy (1983), Casino (1995), The Departed (2006), The Wolf of Wall Street (2013), The Irishman (2019) et Killers of the Flower Moon (2023). Après la dissolution du Band, il sera à l’origine d’une polémique, accusé par les autres musiciens, et surtout Levon Helm, de s’être fait de l’argent sur leur dos, abusant de sa position favorable de parolier. Et reconnaissons que ses tentatives d’explication et de justification, parfois contradictoires, ne peuvent être mises à son crédit. Dans la seconde partie de sa carrière, ce musicien génial et protéiforme (on le qualifie souvent de « père » de l’americana) réalisera des disques loin de nos musiques favorites, mais personnels et qui mettent souvent en avant ses origines amérindiennes. Virtuose de la guitare, Robbie Robertson avait un son bien à lui, gras, profond, puissant, que nous n’oublierons jamais.

Avec Bo Diddley et Eric Clapton. © : Robbie Robertson / Facebook.

Come love en 1961 par Ronnie Hawkins and the Hawks. Le tout premier single sur lequel on entend Robbie Robertson.
Leave me alone en 1965 par les Canadian Squires.
Go, go, Liza Jane en 1965 par Levon and the Hawks.
Gambling blues en 1965 par John Hammond (« So Many Roads »).
Tell me, momma en 1966 par Bob Dylan (« The Bootleg Series Vol. 4: Bob Dylan Live 1966, The « Royal Albert Hall » Concert »). Cette chanson n’apparaît que sur ce disque de Dylan.
Travelling riverside en 1967 par John Hammond (« Mirrors »).
I wish you would en 1967 par John Hammond (« I Can Tell »). Avec Bill Wyman à la basse !
Rag mama rag en 1969 par The Band (« The Band »).
The W.S. Walcott medicine show en 1970 par The Band (« Stage Fright »).
County jail blues en 1976 par Eric Clapton (« No Reason To Cry »).
Such a night en 1976 par Dr. John (The Last Waltz).

Avec Levon Helm. © : Morgan Media Partners / Ed Caraeff / Iconic Images.

The night they drove Old Dixie down en 1976 par The Band (The Last Waltz).
Mistery train en 1976 par Paul Butterfield (The Last Waltz).
Mannish boy en 1976 par Muddy Waters (The Last Waltz).
Further on up the road en 1976 par Eric Clapton (The Last Waltz).
Down south in New Orleans en 1976 par Bobby Charles (The Last Waltz).
The weight en 1976 par The Band et les Staple Singers (The Last Waltz).
American roulette en 1987 (« Robbie Robertson »).
Who do you love en 2007 avec Eric Clapton. Robertson est ahurissant…
Fear of falling en 2011 (« How to Become Clairvoyant ») avec Eric Clapton.
Straight down the light en 2011 avec Robert Randolph.
Blues midnight en 2014 par Jerry Lee Lewis.
Interview sur sa rencontre en 1965 avec Sonny Boy Williamson II (2011).

 

The Band en 1969 : Richard Manuel, Garth Hudson, Robbie Robertson, Rick Danko et Levon Helm. © : Elliott Landy / Medium.