Je crois que Willie Hayes était mon batteur préféré. Avec un autre Willie, entendez « Big Eyes » Smith, je n’ai pas souvenir d’un homme aussi fascinant derrière des fûts, d’un tel champion absolu de la tension-détente, du toucher, de la relance comme de la nuance (même si je n’ai jamais vu « en vrai » un Fred Below par exemple…). Et il s’agit bien de fascination car avec ses deux baguettes magiques, Willie « mesmérisait » systématiquement mon attention durant ses concerts, au point de me faire négliger les autres membres des groupes au sein desquels il œuvrait, pourtant des maîtres du blues de la stature de Junior Wells & Buddy Guy, Luther Allison, Jody Williams, Lurrie Bell, Eddie C. Campbell, du peu que je me souvienne et au-delà de ses participations à de nombreuses éditions de la tournée du Chicago Blues Festival. Willie Hayes est donc parti brutalement ce 5 novembre 2023, à soixante-treize ans, et il nous laisse déséquilibrés au bord d’un gouffre insondable.
Willie Hayes voit sans doute le jour le 20 août 1950 à Clarkedale, une petite bourgade de trois cents âmes dans l’Arkansas, bien que certaines sources citent également Clarksdale, Mississippi. Il a seulement six mois quand sa famille s’installe à Chicago et découvre la batterie dès l’âge de quatre ans, même s’il ne s’y consacre sérieusement qu’à partir de neuf ans. Avec trois cousins qui jouent dans des marching bands (fanfares), il trouve d’autant plus vite ses marques baguettes en mains. Au lycée, il bénéficie aussi des cours du trompettiste William Abernathy et des conseils de batteurs de studio comme Bobby Neely et Quintan Joseph (source : article du numéro 227 de Living Blues, sans lequel la présente publication n’aurait pas la même consistance…). Il ne tarde donc pas à former un premier groupe, Little Larry and the Soulmakers. À quatorze ans, il fréquente Mighty Joe Young et Koko Taylor (interdit de club à cause de son âge, il se cache dans les loges avant d’entrer !), joue dans une autre formation, les Mandells (auteurs de quelques singles dans une veine soul dans les années 1960), puis rencontre Magic Sam avec lequel il joue à seize ans.
Outre Magic Sam, Hayes se rapproche d’acteurs de la scène blues de Chicago dont S.P. Leary, Eddie Clearwater, Eddie C. Campbell (avec lequel nous le verrons en France quelque quarante ans plus tard !), Freddie King et son frère Benny Turner… Une tournée européenne est alors au programme avec Magic Sam. Mais nous connaissons la suite. Le 1er décembre 1969, Magic Sam est foudroyé par une crise cardiaque. Malgré son jeune âge (il est dans sa vingtième année), Willie Hayes passe le cap, et grâce à son talent, il trouve des engagements, aux côtés de Koko Taylor et encore Mighty Joe Young, mais aussi d’artistes plus funk et soul dont le groupe Southside Movement qui enregistre trois albums entre 1973 et 1975.
La première moitié des années 1970 continue d’être également prolifique côté blues, une fois encore avec Mighty Joe Young qui l’emmène pour sa première tournée européenne en 1976. Deux ans plus tard, Young enregistre pour QuickSilver « Live at the Wise Fools Pub » (album qui ne sortira toutefois qu’en 1990), qui culmine sur Turning point, extraordinaire chanson de plus de onze minutes sur laquelle Willie Hayes étale toute sa maestria à la batterie, mais se révèle également en superbe chanteur à la voix de baryton ! Une chanson que l’on retrouvera en 1981 (en version écourtée) sur la bande originale du film Thief de Michael Mann, avec entre autres James Caan et James Belushi. Prélude, nous le verrons plus loin, à une carrière cinématographique pour Hayes, homme aux talents décidément multiples.
L’année 1982 est celle d’une consécration. En effet, Willie Hayes, alors dans le groupe de Koko Taylor, fait partie du casting de l’album « Blues Explosion » enregistré pour Atlantic au festival de Montreux (avec aussi John Hammond, Stevie Ray Vaughan, Sugar Blue, Luther « Guitar » Junior Johnson et J.B. Hutto), récompensé du Grammy Award du meilleur album de blues traditionnel. Hayes fait désormais partie des musiciens les plus respectés du blues de son temps. On l’entend sur disque avec Big Twist and the Mellow Fellows, Son Seals, Carey Bell, Luther Allison (auquel il doit son surnom ô combien mérité, « The Touch »), Studebaker John, Chris James & Patrick Rynn, Jody Williams… Et sur scène, il n’existe peut-être aucun bluesman de Chicago qu’il n’ait accompagné ces trente dernières années, Junior Wells et Buddy Guy en tête au début des années 1990. Je me garderai donc d’aller plus loin tant ce serait dénué de sens.
Bien entendu, rares sont les batteurs qui enregistrent sous leur nom, surtout de blues. Au début des années 2000, Willie Hayes élargit donc son spectre et apparaît comme acteur au cinéma dans des films dont plusieurs au succès notable : Hardball en 2001 avec Keanu Reeves, Ali en 2001 avec Will Smith, Jamie Foxx et Jon Voight, Road to Perdition en 2002 avec Tom Hanks, Paul Newman, Jude Law et Daniel Craig, et The Express en 2008 avec Dennis Quaid. Ces dernières années, il était aussi à la tête de son propre groupe, le Willie Hayes Band, tout en continuant de répondre aux sollicitations d’autres artistes. Roi des batteurs et batteur des rois, Willie Hayes, qui officia en outre toujours avec une incomparable élégance (merci à Frédéric Adrian de le souligner dans son hommage sur le site de Soul Bag), restera pour l’éternité dans nos mémoires pour son jeu racé et pulsé, unique dans l’histoire du blues.
Voici maintenant notre sélection de chansons en écoute.
– Now I know en 1969 avec les Mandells.
– I’ve been watching you en 1973 avec Southside Movement.
– Turning point en 1978 avec Mighty Joe Young.
– Polk salad Annie en 1983 avec Big Twist and the Mellow Fellows.
– Don’t pick me for your fool en 1984 avec Son Seals.
– Good luck man en 1997 avec Carey Bell.
– You’re gonna make me cry en 1997 avec Luther Allison.
– Going away baby en 2013 avec Lurrie Bell.
– Baby what you want me to do en 2019 avec Ronnie Baker Brooks.
– It’s a man down there en 2022 avec le Willie Hayes Band.
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