© : Discogs. 

Les personnages de la stature du chanteur-guitariste Big Joe Williams appartiennent à un cercle très restreint, et je ne prétendrai pas ici vous apprendre quoi que ce soit de nouveau sur cet immense bluesman. Quoique, je vous réserve une surprise à la fin de cet article… En tout cas, comme on devrait sans doute le faire chaque 17 décembre, date de son décès en 1982, il importe de se souvenir de l’œuvre de ce bluesman essentiel et profondément original. Il naît Joseph Lee Williams le 16 octobre 1903 du côté de Crawford, Mississippi, une localité située une centaine de kilomètres à l’est du Delta, une région auquel son style de blues est néanmoins étroitement lié. Rien d’étonnant, car dès l’adolescence, il prend ses cliques et ses claques pour devenir l’incarnation du bluesman itinérant, ce qui le mène inévitablement dans le Delta.

© : Stefan Wirz.

Mais avant cela, il est « à bonne école », avec un grand-père et deux oncles du côté de sa mère qui tâtent du blues à une époque où cette musique est encore en gestation. Très jeune, il se bricole (il deviendra un spécialiste de cet exercice !) une première guitare à partir d’un instrument muni d’une seule corde. Plutôt débrouillard, il grandit littéralement sur la route, en glanant çà et là quelques cents en se produisant dans les rues, dans des bars ou auprès de travailleurs en quête de divertissement sur des chantiers (routes, voies ferrées, digues…), et finit par se faire engager par des troupes itinérantes dont la plus fameuse de son temps, les Rabbit Foot Minstrels. À une date qui varie considérablement selon les sources, qui va de 1925 à 1935, il vit à Saint-Louis, Missouri…

© : Stefan Wirz.

Une chose est toutefois sûre : le 11 décembre 1930, Williams pousse pour la première fois la porte d’un studio et grave huit faces au sein du Birmingham Jug Band pour OKeh. Il est aujourd’hui encore difficile d’identifier les membres de la formation, même si la présence de Jaybird Coleman à l’harmonica, selon les dires de Williams lui-même, est hautement probable. Cinq ans plus tard, le bluesman signe pour le label Bluebird de Lester Melrose. Le 25 février 1935, en solo au chant et à la guitare, il enregistre sous le nom de Joe Williams six chansons, dont 49 Highway blues qui deviendra un classique de son répertoire. Huit mois plus tard, le 31 octobre 1935, avec les Joe Williams’ Washboard Blues Singers (Chasey « Kokomo » Collins au wahsboard et « Dad » Tracy au one-string fiddle, un violon à une corde !), il signe quatre autres chansons dont Baby, please don’t go, standard du blues parmi les plus repris, y compris de nos jours.

© : Discogs.

Williams, au style très ancré dans la tradition du blues rural du Delta, se démarque à cette époque qui voit des groupes étoffés donner naissance à un blues plus raffiné dit « urbain ». Il s’en accommode visiblement très bien, se fait désormais appeler Big Joe, enregistre en 1937 avec Robert Lee McCoy (bientôt Nighthawk) et Sonny Boy Williamson I, revisite en 1941 son classique Baby, please don’t go avec une version meilleure que l’originale, s’approprie la même année Crawlin’ king snake… Il retrouve de 1945 à 1947 Sonny Boy Williamson I, puis ses enregistrements se font plus sporadiques après la mort de ce dernier en 1948. Mais Big Joe Williams, qui utilise sa fameuse et improbable guitare à neuf cordes qu’il ne cessera toute sa vie durant de rafistoler (et qui rend son jeu immédiatement reconnaissable), continue de tourner, inlassable, tout en prenant bien le soin d’enseigner son art à d’autres bluesmen « en herbe », comme il l’a toujours fait, et de graver des singles pour des labels qui comptent, comme Bullet, Specialty, Vee-Jay et Trumpet.

 

Avec sa femme Mary et sa fille, Los Gatos, Californie, 5 octobre 1960. © : Big Road Blues.

En 1958, il est remarqué à Saint-Louis par Bob Koester, fondateur d’un label qui prend le nom de Delmar (le « k » final viendra peu après) quand il s’installe la même année à Chicago, et sort son premier album, « Piney Woods Blues ». Comme d’autres bluesmen de sa génération dans les années 1960, Big Joe Williams est très demandé par les organisateurs de festivals et multiplie les enregistrements. Et comme nombre de ses pairs, il cède inévitablement aux redites, mais sa puissance d’expression, notamment vocale, sa sincérité et son approche racinienne sans concession en font un artiste unique dans l’histoire du blues, ce qui lui vaut d’être adulé mondialement. Les derniers enregistrements de Big Joe Williams, sur lesquels il apparaît inaltérable, datent de 1980. Il nous quittera toutefois deux ans plus tard, le 17 décembre 1982, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

En 1963. © : George Mitchell.

Je vous ai promis une surprise en début d’article, il est temps d’y venir. Dans un article du 24 novembre 2022, j’évoquais les travaux de l’ethnologue et musicologue Robert Garfias, qui enregistra des émissions de la station de radio KRAB pour la Folklore Society de Seattle (État de Washington). Parmi ces enregistrements, figurent des concerts des années 1960 et 1970 qui n’ont jamais vu le jour sur disque, et qui concernent Son House, Mississippi Fred McDowell, Mance Lipscomb, John Lee Hooker, Big Joe Williams, Gary Davis, Bukka White, Furry Lewis, Jesse Fuller, Lightnin’ Hopkins, Sonny Terry & Brownie McGhee… Je vous propose donc un document rarissime dans son intégralité, à savoir un concert de Big Joe Williams enregistré le 27 décembre 1969 (en deux parties). Et j’y ajoute mon habituelle sélection de chansons en écoute.

© : Blues & Rhythm.

German blues en 1930 par le Birmingham Jug Band, premier titre gravé avec Big Joe Williams.
49 Highway blues en 1935 par Joe Williams.
Baby please don’t go en 1935 par les Joe Williams’ Washboard Blues Singers.
I won’t be in hard luck no more en 1937 par Big Joe Williams avec Sonny Boy Williamson I et Robert Lee McCoy.
No more whiskey en 1958 par Big Joe Williams.
I have no friends en 1963 par Big Joe Williams.
Don’t your house look lonesome en 1978 par Big Joe Williams.

Prob. fin des années 1970. © : Alex Küstner.