On ne connaîtra sans doute jamais la date exacte de naissance de ce bluesman (dont il existe une seule photo), qui se situe en janvier 1897. Pour marquer le début de cette nouvelle année, que je vous souhaite une fois encore belle, heureuse et pleine de musique, j’ai donc choisi de sortir de l’anonymat Willie « Poor Boy » Lofton. On ne sait rien des origines et de la jeunesse de ce natif du comté de Copiah (où naquit Robert Johnson et où vécut Tommy Johnson…), Mississippi, qui « apparaît » dans les années 1920 à Jackson. Dans la capitale de l’État, il exerce comme coiffeur (sur Pascagoula Street, un peu à l’est de Farish Street, lire mon article du 23 juillet 2023) et chanteur-guitariste de blues, et côtoie deux autres bluesmen originaires de la région, Ishmon Bracey et surtout Tommy Johnson.
Ce dernier le marque profondément, au chant comme à la guitare, et Lofton arrive en 1934 à Chicago certes imprégné du style de Tommy Johnson, mais pas au point de céder à une imitation scolaire comme le laissent un peu promptement penser certaines sources. Il suffit pour cela d’écouter ses quatre premières faces en deux sessions d’enregistrement pour Decca, le 16 puis le 24 août 1934 (It’s killin’me/Poor boy blues et Jake leg blues/My mean baby blues) : on y entend un excellent adepte du Country Blues, mais dont l’interprétation est également influencée par le blues urbain, sans le lourd voile dramatique qui caractérisait Tommy Johnson. Après une autre séance le 9 janvier 1935 (Dirty mistreater, sur laquelle l’influence de Johnson est réelle, et Rainy day blues), mais cette fois avec un groupe complet comprenant Black Bob au piano, Lofton grave le 1er novembre 1935 Beer garden blues et Dark road blues.
Et là, effectivement, cette dernière chanson s’assimile à une adaptation du fameux Big road blues de Tommy Johnson, ce qui fit écrire à David Evans dans Big Road Blues: Tradition and Creativity in the Folk Blues (University of California Press, 1982) : « Dark road blues n’est rien d’autre qu’une version de Big road blues, la seule avec celle de Johnson enregistrée commercialement afin d’être spécialement proposée à la vente au public noir. ». Et si vous souhaitez approfondir, Evans réalise dans son livre une étude très intéressante des similarités entre Johnson et Lofton. Pour en finir avec la discographie de ce dernier, j’ajoute que le 22 juillet 1935, il accompagnait à la guitare sur deux chansons (My babe my babe et Greyhound blues) un certain « Bill » Wilber, qui ne serait autre que Joe Wilbur « Kansas Joe » McCoy ! Mais le succès n’est pas au rendez-vous et Lofton revient à Jackson en 1942 ou il disparaît littéralement des radars ! Tout comme sa date de naissance, celle de son décès est très incertaine et se situerait entre 1956 et 1962…
À ma connaissance, aucune compilation ne rassemble les dix chansons sur lesquelles Lofton apparaît sur disque, soit les huit sous son nom et les deux comme accompagnateur de Wilber/McCoy. Pour commencer cette nouvelle année, les voici donc toutes dans l’ordre chronologique de leur enregistrement.
– It’s killin’me en 1934 par Poor Boy Lofton.
– Poor boy blues en 1934 par Poor Boy Lofton.
– Jake leg blues en 1934 par Poor Boy Lofton.
– My mean baby blues en 1934 par Poor Boy Lofton.
– Dirty mistreater en 1935 par Poor Boy Lofton.
– Rainy day blues en 1935 par Poor Boy Lofton.
– My babe my babe en 1935 par « Bill » Wilber avec Lofton à la seconde guitare.
– Greyhound blues en 1935 par « Bill » Wilber avec Lofton à la seconde guitare.
– Beer garden blues en 1935 par le Willie Lofton Trio.
– Dark road blues en 1935 par Willie Lofton.
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