© : Bob Pearce / The Guardian.

Étrangement, la nouvelle du décès de Neil Slaven (producteur, historien, auteur, discographe…), survenu le 23 décembre 2023, s’est seulement répandue au début de ce mois de janvier. C’est assez incompréhensible sachant le rôle important qu’il joua dans la reconnaissance du blues, en particulier dans les années 1960 durant « l’âge d’or » du British Blues Boom. Slaven est d’ailleurs né en Angleterre, et plus précisément à Caterham, le 6 août 1944. Dès l’école secondaire, il joue de la guitare et fréquente Mike Vernon, qui deviendra lui aussi un producteur renommé, et à la fin des années 1950, il s’intéresse au blues et au R&B. Peu après, il travaille à Londres pour Esquire Records qui distribue au Royaume-Uni des labels américains de jazz et de blues dont Prestige et Delmark.

Le premier numéro de R&B Monthly. © : Popsike.

En 1964, Neil Slaven et Mike Vernon fondent R&B Monthly, un fanzine mensuel qui s’inscrit en média pionnier du secteur et qui paraîtra jusqu’en 1966. Dans le premier numéro (février 1964), Slaven est l’auteur d’une interview du chanteur-pianiste de Chicago Otis Spann, dont il signe aussi les notes de pochette de l’album « The Blues of Otis Spann » paru chez Decca la même année. Slaven et Vernon donnent une nouvelle dimension à leur collaboration en 1965 quand ils créent le label Blue Horizon, qu’ils inaugurent en février avec la sortie du premier single sous son nom de Hubert Sumlin, même si un titre de ce dernier figure sur le disque de la tournée de l’American Folk Blues Festival 1964. D’ailleurs, le single de Sumlin, composé des chansons Across the board et Sumlin boogie, a été enregistré le 29 novembre 1964 en Angleterre, dans le prolongement de la tournée. Et pour être complet, je me dois de préciser que le single était uniquement vendu avec le numéro 13 de R&B Monthly (février 1965) et que le second guitariste sur Across the board n’est autre que Neil Slaven !

Mike Vernon, Keef Hartley et Neil Slaven, vers 1970. © : Sound On Sound.

Après des rééditions de singles d’autres bluesmen américains notoires (Woodrow Adams, Snooky Pryor, Moody Jones, J.B. Lenoir, Champion Jack Dupree, Sonny Boy Williamson II, Eddie Boyd), Blue Horizon ajoute à son catalogue à partir de 1967 des albums consacrés à des artistes et groupes britanniques dont Chicken Shack, Fleetwood Mac, Duster Bennett… Le label occupe alors une place centrale en Angleterre pour le blues, mais j’y reviendrai dans un article spécifique. Quant à Slaven, il prend de plus en plus de place et travaille pour la vénérable marque Decca (fondée en 1929 !) et sa filiale Deram, lancée en 1966 et plus orientée rock. Il écrit notamment de nombreuses notes de pochette, dont celles du plus célèbre album du British Blues Boom, « Blues Breakers with Eric Clapton » de John Mayall (Decca, 1966).

Face A du premier single de Blue Horizon, par Hubert Sumlin avec Neil Slaven à la seconde guitare. © : Stefan Wirz.

Mais Slaven est également discographe, et en 1968, il publie avec Mike Leadbitter (cofondateur en avril 1963 de Blues Unlimited) un ouvrage fondamental, Blues Records –1943-1966 (Oak Publications, 1968). Il s’agit d’une impressionnante discographie exhaustive qui rassemble tous les disques sortis durant la période de référence, avec les personnels, les labels, les dates et lieux d’enregistrement… Souvent qualifié de « Bible du blues », elle connaîtra de nombreuses rééditions enrichies et mises à jour, avec également des versions portant sur d’autres périodes. Des outils indispensables que je garde personnellement toujours à portée de main. Après avoir produit les disques du Keef Hartley Band ou encore de Savoy Brown, Neil Slaven écrira aussi de nombreux articles pour Blues Unlimited, puis Juke Blues, Vox et Blues & Rhythm.

Neil Slaven, John Broven, Simon Napier et Alan Balfour au Break For The Border, Londres, 6 septembre 1986. © : Frank Scott / Stefan Wirz.

Très respecté mais dans une relative discrétion, il continue ensuite de travailler inlassablement pour de nombreux labels américains et britanniques (ces derniers spécialisés dans les rééditions/compilations), comme RCA, Sun, Chess, Minit, King, Ace, Charly, Westside, Indigo, JSP, Sequel et Jasmine (source : The Guardian). Comme il n’aime pas que le blues, Slaven a publié en 1996 Frank Zappa: Electric Don Quixote (Omnibus Press). En 2006, il contribue au Penguin Guide to Blues Recordings (Penguin Books), une encyclopédie monumentale de plus de 1 000 pages qui recense les albums de blues édités en CD. Enfin, en 2021, il participe à une autre anthologie « colossale », « John Mayall – The First Generation 1965-1974 » (Madfish), qui compte 35 CD et un livre de 168 pages dont Slaven est l’auteur. Neil Slaven vient donc de nous quitter à l’âge de soixante-dix-neuf ans, et pour l’ensemble de son œuvre, il importe de ne surtout pas l’oublier.

Couverture de l’édition originale de la discographie Blues Records –1943-1966. © : Amazon.