En cette fin d’année, je poursuis ma rubrique hebdomadaire consacrée aux disques qui ont selon moi marqué l’année 2021. Pour ce quatrième volet, nous restons comme hier dans la Caraïbe, mais c’est un hasard. Je vous propose de nous arrêter ce soir sur le chanteur et guitariste des Bahamas Joseph Spence, un artiste profondément original. Né le 3 août 1910 à Andros, sur le plus grand archipel bahaméen qui compte trois îles principales, ce fils de pasteur a commencé à jouer dès l’âge de neuf ans auprès d’un oncle qui lui a offert sa première guitare. Il apparaît aussi dans le groupe d’une autre oncle flûtiste visiblement populaire. Spence dira que leur répertoire comprenait des quadrilles, des polkas, du calypso… Il exerce ensuite longtemps comme pêcheur d’éponges et devient un adepte du rhyming spiritual : contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce type de rhyming (rime en français) ne repose pas sur une rime mais sur un vers lancé par un leader (le rhymer) et repris par les autres chanteurs. Quant au rhyming spiritual, il s’appuie simplement sur des textes issus des spirituals et du gospel… Très originale, cette façon de chanter qui relève plus de la scansion est souvent citée parmi les ancêtres du rap.

2. © : Pinterest.

En revanche, nul ne sait réellement où et comment Spence a échafaudé son style singulier de guitare. En 1938, une maladie bactérienne frappe les éponges et le prive de son travail régulier, et il rapportera : « Dieu a tué toutes les éponges. » Désormais installé à Nassau, Spence part deux ans faire les moissons dans le Sud des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, où il entre en contact avec le blues et la country. Il se forge alors un jeu polyrythmique unique et virtuose, qui laisse croire à certains auditeurs qu’il s’accompagne d’un autre guitariste… Il revient à Nassau en 1946 où il se produit de plus en plus régulièrement, attirant l’attention de spécialistes. Mais il doit toutefois attendre 1958 pour graver ses premières faces pour le musicologue et folkloriste Sam Charters. La carrière de Spence est lancée, il tourne dans les plus grands festivals et enregistre pour des labels importants dont Folkways, Arhoolie, Elektra, Rounder… Sa popularité perdurera jusqu’au début des années 1980, et Joseph Spence s’éteindra le 18 mars 1984 à l’âge de soixante-treize ans. Cette année, Folkways a donc sorti « Encore: Unheard Recordings Of Bahamian Guitar And Singing », une sélection de titres inédits qui date de 1965. Je vous invite à en écouter un extrait, Death and the woman, et à lire ci-dessous ma chronique publiée dans le numéro 244 de Soul Bag.

© : A.R. Danberg / Ralph Rinzler Archives / Smithsonian Institution / The New Yorker.

JOSEPH SPENCE
ENCORE: UNHEARD RECORDINGS OF BAHAMIAN GUITAR AND SINGING
Durant une vingtaine d’années (1959-1980), Joseph Spence fut un des représentants les plus populaires de la musique des Bahamas. Il figura surtout parmi les plus originaux, avec son chant de gosier alternant scansion, onomatopées, scat et autres grognements qui prolongeaient un jeu de guitare complexe et virtuose. Chez Spence, chant et guitare ne faisaient qu’un pour créer un univers unique et hautement personnel. Un artiste assurément à (re)découvrir, même s’il évoluait en marge de notre idiome. Quoique… In times like this a de réels accents bluesy, la guitare sur The crow et The glory of love emprunte au jazz, et le CD regorge de titres issus du gospel ou des negro spirituals : Down by the riversideDeath and the woman (très beau avec ses chœurs), Give me that old time religionRun come to see Jerusalem (sur un cyclone qui dévasta les Bahamas en 1929), Great God what do I see and hear? (qui daterait de 1820 !)… Folkways nous propose donc là une sélection inédite de cet artiste en 1965, composée de chansons en studio et en public. Certes pour initiés, mais exemplaire et historique.