Mississippi Heat à ses débuts. Debout de gauche à droite : Bob Stroger, Robert « Golden Voice » Covington, Billy Flynn et James Wheeler. Assis : Deitra Farr et Pierre Lacocque. © : Alchetron.

Bien que d’une relative discrétion, Mississippi Heat fait partie des groupes de blues les plus respectés et les plus performants de Chicago, ce que démontre également sa discographie sans déchet. Fondée en 1991 par les frères Michel (manager) et Pierre Lacocque (harmoniciste), la formation a donc enregistré son premier album l’année suivante, « Straight from the Heart » (Van der Linden), avec déjà des musiciens remarquables dans ses rangs, dont Billy Flynn à la guitare et Bob Stroger à la basse. Pierre Lacocque en deviendra vite le leader, comme instrumentiste mais aussi en tant qu’auteur-compositeur. En 2014, pour Soul Bag, j’avais interviewé Pierre, qui parle français compte tenu de ses origines (lire plus bas), en utilisant pour la première fois l’outil de visioconférence Zoom, ce qui m’avait alors fasciné. Pierre avait tellement de choses à dire que nous avions dû publier notre article en deux parties, dans le numéro 216 puis dans le numéro 217 !

Pierre Lacocque et Inetta Visor le 8 avril 2017 au pub Limoilou, Québec. © : Pierre Ménard / tatieblues.

Il faut dire que Pierre Lacocque a connu deux vies, et peut-être même plus. Jugez plutôt. Né de parents belges le 13 octobre 1952 à Jérusalem, il avait déjà vécu dans quatre pays à l’âge de cinq ans, en Israël donc, mais aussi en Allemagne, en France puis en Belgique. Il se souvient que son père lui avait offert un harmonica en plastique quand il avait seulement deux ans et demi, et qu’il trouvait ça si beau qu’il pleurait quand il en jouait. Très proche de son père très impliqué dans les domaines de la théologie judéo-chrétienne, de la philosophie et de la littérature classique, il étudie à l’Athénée Maïmonide de Bruxelles, une école juive bien qu’il ne soit pas Juif. En 1969, cette fois nanti d’un « vrai » harmonica depuis quelques années, il part s’installer avec sa famille à Chicago, où il entend Big Walter Horton.

Pierre Lacocque et Lurrie Bell. © : Patricia Gleeson / mississippiheat.net

Une nouvelle fois bouleversé, il assiste à de nombreux concerts dans la Windy City, côtoie les meilleurs harmonicistes de l’époque et s’impose un rythme de stakhanoviste, allant jusqu’à jouer sept à huit heures par jour ! Pourtant, étrangement, cela ne dure pas. Pierre Lacocque poursuit ses études, se barde de diplômes dont un doctorat en psychologie, lit les plus grands existentialistes et philosophes, enseigne la psychothérapie et devient une sommité dans ces secteurs, signant des publications qui font autorité. Mais à la fin des années 1980, il étouffe, se demande qui il est (ce sont ses mots) et s’aperçoit qu’il a besoin d’un nouvel équilibre. Il va le trouver dans le blues. En 1989, il revient sur la scène du Chicago Blues, et deux ans plus tard, il forme donc Mississippi Heat, et le groupe entame à partir de 1992 une série de treize albums tous excellents, le dernier en date, sorti le 1er avril, s’appelant « Madeleine » (Van der Linden).

© : Discogs.

Le Chicago Blues de Mississippi Heat, certes inspiré de l’âge d’or des années 1950, n’est en aucun cas passéiste mais au contraire très actuel, inventif et efficace, jamais démonstratif et bien servi par des textes dont Lacocque est généralement l’auteur. Ce dernier ne chante pas mais sait s’entourer (souvent de chanteuses), et bien des membres du groupe ont mené ou mènent en parallèle de brillantes carrières en solo. Contentons-nous de citer, outre Billy Flynn et Bob Stroger, le chanteur et guitariste James Wheeler, les chanteuses Deitra Farr, Mary Lane, Zora Young, Inetta Visor et Katherine Davis, le pianiste Barrelhouse Chuck, le bassiste Calvin « Fuzz » Jones… Les invités sont souvent prestigieux, tels ceux qui figurent sur « Madeleine » : Lurrie Bell, Michael Dotson et Carl Weathersby (voc, g), Johnny Iguana (p) et Kenny Smith (dm). Et bon anniversaire à Mississippi Heat !