Joe Bussard. © : The New York Times.

Il n’était sans doute pas le plus connu des collectionneurs de disques anciens, mais Joe Bussard, qui nous a quittés le 26 septembre 2022 à l’âge de quatre-vingt-six ans, avait rassemblé entre quinze mille et vingt-cinq mille 78-tours de blues, de jazz, de gospel et de country des années 1920 et 1930. Aujourd’hui, une partie de sa collection est mise en vente aux enchères. Mais soyons clairs, la vente débute ce 15 juin 2023 pour s’achever le 18 juin. En outre, les disques proposés, évidemment dans leurs versions originales, sont extrêmement rares (pour certains d’entre eux, seuls dix exemplaires, voire moins, circulent de nos jours), et dès lors extrêmement chers, les prix unitaires allant de 300 à 3 000 dollars. Bref, à réserver aux collectionneurs fortunés ou à ceux qui font partie d’un réseau spécialisé.

Joe Bussard’s Vintage78.

Fallait-il pour autant passer sous silence cette opération ? À notre sens non. D’abord parce qu’elle nous permet de faire mieux connaissance avec Joe Bussard. Ensuite, tout simplement parce qu’elle nous fait rêver face à de précieux objets qui appartiennent à l’histoire des musiques populaires afro-américaines dont ils contribuent à la préservation. Enfin, parce que les chansons de ces 78-tours, d’une grande importance historique, ont toutes été rééditées sur différents supports et qu’elles sont accessibles au plus grand nombre. Nous avons choisi dix 78-tours parmi la soixantaine proposés à la vente, et vous pouvez en consulter l’intégralité à cette adresse. Pour revenir à Joe Bussard, il vit le jour le 11 juillet 1936 à Frederick, Maryland, et commença à collectionner les disques dès l’âge de sept ans ! Sa passion ne le quittera plus. De 1956 à 1969, il dirigera Fonotone, le dernier label de 78-tours, anima de nombreuses émissions de radio et fit l’objet en 2003 d’un film d’Edward Gillan, Desperate Man Blues – Discovering the Roots of American Music. Nous vous conseillons d’ailleurs de visionner le documentaire de 30 minutes Joe Bussard: King of Record Collectors sorti par Dust-to-Digital et qui figure avec le DVD du film. Voici maintenant une sélection de dix 78-tours mis en vente.

Joe Bussard’s Vintage78.

Dix exemplaires connus.
– Memphis Jug Band, Cocaine habit blues / It won’t act right en 1930 chez Victor. Le plus célèbre et le plus influent des jug bands…
– Joe Williams, 49 highway blues / Stepfather blues en 1935 chez Bluebird. Inutile de présenter Big Joe Williams, qui à l’époque enregistrait sans le « Big »…
– Henry Thomas, Shanty blues / Woodhouse blues chez Vocalion. Un des 78-tours les plus chers du lot, proposé à 2 600 dollars. Henry « Ragtime Texas » Thomas (1874-1930) est un des bluesman les plus archaïques, qui a sans doute appris dès les années 1880 une musique qui préfigurait le blues, ce qui rend son œuvre fondamentale.

Joe Bussard’s Vintage78.

Cinq exemplaires connus.
– Jay Bird Coleman, Ah’m sick an’ tired of tellin’ you / No more good water – ‘Cause the pond is drychez Gennett. Burl C. « Jaybird » (« Jay Bird ») Coleman (1896-1950) restera comme un des principaux pionniers de l’harmonica blues, au jeu d’un sidérant modernisme pour l’époque.
– Clifford Hayes’ Louisville Stompers, The tenor guitar fiend / Tipping thru chez Victor. Originaire du Kentucky, le multi-instrumentiste et chef d’orchestre Clifford George Hayes (1893-1941) évolua entre jug band et jazz, ce qui donne une idée de son originalité, et travailla avec Sara Martin, Johnny Dodds, Earl Hines et Jimmie Rodgers !
– Bayless Rose, Frisco blues / Jamestown exhibition chez Champion. Sinon qu’il fut un superbe guitariste, on sait bien peu de choses sur le guitariste Bayless Rose (1890-1986). On ignore même s’il était noir ou blanc ! Et comme il ne chante pas sur les quatre morceaux qu’il enregistra en 1930, le mystère risque de perdurer… À moins de remettre la main sur d’autres titres à ce jour inédits dont il est l’auteur et sur lesquels il chante, mais soyons lucides, c’est hélas très improbable…
– Al Turk’s Orchestra, Mean man/One o’clock blues chez OKeh. Pionnier du jazz, le cornettiste et chef d’orchestre de jazz Al Turk nous laisse une poignée de faces gravées entre 1924 et 1926, aujourd’hui très rares…

© : IMDb.

Quatre exemplaires connus.
– Carolina Peanut Boys, Move that thing / You got me rollin’ chez Victor. Derrière les Carolina Peanut Boys se cache le Memphis Jug Band…

Joe Bussard’s Vintage78.

Deux exemplaires connus.
Whistler’s Jug Band, Chicago flip / Jerry o’mine chez Gennett. Jug band du Kentucky emmené par Lloyd Buford Threlkeld aka « Whistler » (1893-1935), auteur de dix faces commercialisées entre 1924 et 1931.

Joe Bussard (à gauche) en version jug band… © : The Guardian.

Le plus cher du lot !
Banjo Joe, Can you blame the colored man / Poor boy, long ways from home chez Paramount. On ne connaît pas le nombre d’exemplaires qui circulent mais il est rarissime et proposé à 3 200 dollars ! Banjo Joe était un pseudonyme utilisé par Gus Cannon (1884-1979), membre d’un autre célèbre jug band, les Cannon’s Jug Stompers. Très à l’aise dans différentes formes de blues rural, il est ici accompagné par le grand Blind Blake…

Joe Bussard’s Vintage78.

Pour finir cet article, nous ajoutons une sélection de dix chansons issues des 78-tours cités ci-dessus. Mais il s’agit des faces dites « B », pas toujours mises en avant alors qu’elles valent souvent les faces « A »…
It won’t act right en 1930 par le Memphis Jug Band.
Stepfather blues en 1935 par Joe Williams.
Woodhouse blues en 1927 par Henry Thomas.
No more good water – ‘Cause the pond is dry en 1927 par Jay Bird Coleman.
Tipping thru (through) en 1928 par les Clifford Hayes’ Louisville Stompers.
Jamestown exhibition en 1930 par Bayless Rose.
One o’clock blues en 1926 par Al Turk’s Orchestra.
You got me rollin’ en 1930 par les Carolina Peanut Boys.
Jerry o’mine en 1924 par le Whistler’s Jug Band.
Poor boy, long ways from home en 1927 par Banjo Joe.