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Nouvel article de ma rubrique qui s’arrête sur des mots et des expressions propres aux textes du blues, dont on ne trouve pas la traduction dans les dictionnaires traditionnels (*). Il s’agit essentiellement d’expliquer le sens de ces termes nés lors de la conception du blues, soit dans les années 1880, en les remettant dans le contexte des compositions des musiques afro-américaines. Je souhaite aujourd’hui considérer le mot groundhog. Une rubrique cette fois directement liée au calendrier. Car si le 2 février marque la Chandeleur en France, en Amérique du Nord (États-Unis et Canada), c’est le Groundhog Day, le jour de la marmotte ! La marmotte d’Amérique vit plutôt en plaine (y compris dans le Mississippi) contrairement à notre espèce des Alpes, mais son comportement est proche. Elle hiberne dans un terrier, duquel, selon la croyance, elle sort donc le 2 février pour annoncer ou non les beaux jours. En effet, si la bestiole reste dehors, c’est que le printemps arrive. En revanche, si elle regagne dare-dare son trou, eh bien l’hiver durera six semaines de plus !

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Vous vous demandez sans doute, et légitimement, où se niche le rapport avec le blues, mais j’y viens. Groundhog se traduit donc par marmotte, mais en creusant un peu (au fond de son terrier, peut-être !), on apprend que le terme, également écrit en deux mots ground hog, signifie littéralement « cochon de terre ». Le 8 août 1928, la chanteuse de Classic Blues Gladys Bentley grave pour la première fois Ground hog blues, mais il s’agit surtout d’attirer un amant dans son « terrier »… Car quand les bluesmen ruraux s’en servent dans leurs textes, ils décrivent un personnage scabreux, un prédateur sexuel en chasse perpétuelle de proies, féminines bien sûr, au grand dam de leurs compagnons ou maris. Des pervers qui rôdent, qui s’enracinent, qui harcèlent, dans l’arrière-cour de la maison, du côté de la porte de derrière (backyard, backdoor, mes articles du 7 mars 2023 et du 24 janvier 2023), et dont il est bien difficile de se débarrasser. Ce sont à peu de choses près les paroles du premier blues enregistré dans cet esprit par Ramblin’ Thomas, Ground hog blues le 9 février 1932 pour Victor.

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Environ trois ans et demi plus tard, le 26 septembre 1935, un bluesman bien moins célèbre, Willie Reed, reprend la chanson sous le titre Some low down groundhog blues en modifiant à peine les paroles. Le thème n’est pas très répandu dans le blues, mais on le retrouve en 1948 par la voix de Lil’ Son (Little Son) Jackson, toujours intitulé Ground hog blues. Étrangement, on doit ces versions initiales à des représentants du blues rural texan alors que la marmotte est absente du Texas ! Puis, en 1951, John Lee Hooker, sous le pseudonyme de John Lee Booker (chez Chess, s’il vous plaît…), y va de sa lecture de Ground hog blues. En 1963, l’Anglais Tony McPhee, chanteur-guitariste des Dollar Bills, s’inspire de John Lee Hooker pour rebaptiser son groupe The Groundhogs, qui devient un des premiers du British Blues Boom. La formation accompagnera Hooker l’année suivante lors d’une tournée ponctuée d’un album franchement quelconque, « …And Seven Nights » (Verve Folkways), puis d’autres bluesmen dont Little Walter, Jimmy Reed et Champion Jack Dupree, avant de verser dans un rock loin de l’objet de ce site.

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Passons dès lors sans plus attendre à notre sélection de chansons en écoute.
Ground hog blues en 1928 par Gladys Bentley.
Ground hog blues en 1932 par Ramblin’ Thomas.
Some low down groundhog blues en 1935 par Willie Reed.
Ground hog blues en 1948 par Lil’ Son (Little Son) Jackson.
Ground hog blues en 1951 par John Lee Hooker (Booker).
Groundhog en 1971 par The Groundhogs.
Ground hog blues en 1973 par Mike Bloomfield, John Hammond et Dr. John.
Groundhog blues en 2014 par Ian Siegal.
(*) Rubrique réalisée avec entre autres sources les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington et les livres Talkin’ that talk – Le langage du blues et du jazz de Jean-Paul Levet (Outre Mesure, 2010), Barrelhouse Words – A Blues Dialect Dictionary de Stephen Calt (University of Illinois Press, 2009) et The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu de Debra Devi (True Nature Records and Books, 2012).

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