© : Texas Heritage Songwriters’ Association.

Souvent cité comme le mentor de Stevie Ray Vaughan, il était également surnommé le « Godfather of Austin Blues » (le parrain du blues d’Austin), ce qui en dit long sur son influence sur la scène blues de la ville texane. Mais W.C. Clark a tiré sa révérence ce 2 mars 2024 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Selon son ami le producteur Hammond Scott (fondateur du label Black Top Records sur lequel Clark enregistra trois albums), son agente Vicky Moerbe et ses anciens accompagnateurs Kaz Kazanoff et Derek O’Brien, le chanteur-guitariste, qui était toujours actif, s’est trouvé mal la semaine dernière dans un club. À l’hôpital, on lui a trouvé des tumeurs cancéreuses au cerveau, au poumon et au rein ! Une situation qui a hélas conduit à son décès aujourd’hui…

W.C. Clark, Clifford Antone et Stevie Ray Vaughan. © : Blue Vibe.

Wesley Curley Clark naît le 16 novembre 1939 à Austin, Texas, où il débute d’autant plus facilement au chant à l’église que sa mère et les trois sœurs de celle-ci font partie de la chorale gospel de la St. John’s College Baptist Church, alors que son père est guitariste. Logiquement, il apprend d’abord la guitare, comme il l’expliquait en 2012 à Blues Vibe : « Mon premier instrument fut la guitare. J’ai grandi dans un quartier où il y avait beaucoup de gospel, mais il y avait aussi quelques guitaristes autour de St. John et à Austin. Ils jouaient du blues et c’est aussi ce que j’ai d’abord appris à jouer. Il y avait aussi un club de country & western sur North Lamar, le Skyline Club. J’ai commencé à y aller à treize ou quatorze ans, je jouais de la guitare sur le porche, et un jour, on m’a dit d’entrer. On vivait alors une époque très difficile, et je me souviens avoir joué ensuite à l’intérieur, les gens me lançaient des pièces et je rentrais chez moi avec 35 ou 40 dollars en poche. J’avais 14 ou 15 ans, c’était chouette. »

© : Discogs.

Peu après, à seulement seize ans, Clark donne son premier concert au Victory Grill, un club sur 11th Street qui appartient au Chitlin’ Circuit et qui verra passer des artistes de renom dont B.B. King, Bobby Bland, Clarence « Gatemouth » Brown… Parallèlement, il se met aussi à la basse au contact de son cousin Big Pete Pearson (qui fut lui-même bassiste et guitariste avant de mener une brillante carrière de chanteur), et s’essaie aussi un peu au jazz car il aime de grands guitaristes du genre, comme il le dira à Blues Vibe : « Ça allait de Kenny Burrell à Wes Montgomery en passant par George Benson Quel que soit le style de musique, si c’était bon, ça m’intéressait. Alors je jouais de la country, un peu de jazz, du blues, de la soul, du rock. L’essentiel était de faire plaisir au public. Je m’attachais à cela et si les gens étaient contents, je pouvais rentrer chez moi me reposer car j’avais fait du bon boulot. »

© : Texas Music Museum Archives.

Toujours dans la seconde moitié des années 1950, il rencontre le guitariste T.D. Bell, dont il rejoint le groupe, les Cadillacs, en tant que bassiste. Au début de la décennie suivante, il décide de vivre de la musique et entame une collaboration de six ans avec un autre bluesman local, le multi-instrumentiste (guitare, basse, piano, trompette) Henry « Blues Boy » Hubbard, qui s’accompagne de ses Jets. Au sein de cette formation qui est le house band d’un autre club réputé d’Austin, Charlie’s Playhouse, Clark est cette fois remarqué par le grand chanteur de soul et R&B Joe Tex. Une expérience sur le Chitlin’ Circuit qui l’éloigne de sa ville de cœur, mais qui sera très enrichissante et marquera son style, qui intègrera dès lors plus de soul à son blues. En outre, il côtoie des artistes légendaires dont Tyrone Davis et James Brown. Dans un entretien publié en 2016 par Blues Blast Magazine, Clark avouera qu’il obéissait simplement à son ambition : « J’étais très ambitieux à l’époque. Mon ambition musicale me guidait. Joe Tex voyageait dans le monde entier et je jouais dans son groupe… »

© : Discogs.

Mais à la fin des années 1960, alors qu’une tournée le ramène à Austin, Clark relève que la scène blues de la ville a notablement évolué, avec l’émergence d’artistes blancs comme Bill Campbell, Paul Ray, Lewis Cowdrey, Jimmie Vaughan et Angela Strehli. Il décide alors de rester à Austin où il s’inscrit un peu en principal inspirateur de ces jeunes musiciens, ce qui lui vaut d’abord d’être surnommé le « Teacher », puis donc le « Godfather » du blues de la ville. Au début des seventies, Clark, qui écrit également désormais plus de chansons, fonde le groupe Southern Feeling, qui comprend la chanteuse Angela Strehli et le guitariste-pianiste Denny Freeman. Rapidement, un autre jeune loup, qui n’est autre que Stevie Ray Vaughan (le frère cadet de Jimmie), fasciné par son jeu de guitare qui l’influencera énormément, commence à le suivre partout, entretenant l’espoir de l’avoir dans sa propre formation.

© : Alligator Records.

Et justement, à ce moment-là, Clark vit une période un peu « creuse : il a du mal à joindre les deux bouts et doit travailler comme mécanicien la journée. De son côté, même s’il est encore inconnu en dehors d’Austin, Stevie Ray Vaughan a déjà fait partie de plusieurs groupes dont les Cobras de Paul Ray, avec lesquels il a sorti un single le 7 février 1977. Et en septembre de cette même année, quand Stevie crée Triple Threat Revue (avec Lou Ann Barton au chant, Mike Kindred aux claviers et Freddie « Pharaoh » Walden à la batterie), il engage W.C. Clark comme bassiste ! La « pige » ne dure toutefois pas très longtemps (mais le 19 janvier 1979, le label Hole sortira un single crédité à W.C. Clark with the Cobras & Stevie Ray Vaughan !) , et à partir de mai 1978, alors que Stevie rebaptise son groupe Double Trouble, Clark reprend le cours de sa carrière solo, tout en continuant de « chapeauter » de jeunes guitaristes locaux, y compris certains qui flirtent avec le rock comme les frères Charlie et Will Sexton.

© : Texas Music Museum Archives.

Il fonde la W.C. Clark Blues Revue avec lequel il sort en 1987 un album sur son propre label Drippin’ Records, « Something for Everybody », qui passe inaperçu. En revanche, son album « Heart of Gold » (1994) qui paraît chez Black Top Records, est très bien accueilli : superbe chanteur dans un registre soul blues, guitariste tranchant et expressif quand il revient à un blues plus « direct », il nous propose un disque très cuivré et bien arrangé. On note la présence au casting de Derek O’Brien et Kaz Kazanoff, mais aussi de Chris Layton et de Tommy Shannon, autrement dit la section rythmique du Double Trouble de Stevie Ray Vaughan… Deux autres albums de bonne facture sortiront chez Black Top, « Texas Soul » en 1996 et « Lover’s Plea » en 1998. Entre-temps, en mars 1997, il vit un drame : après un concert, il perd le contrôle du van qu’il conduit. Clark s’en tire avec un bras blessé, mais sa fiancée Brenda Jasek et son batteur Pedro Alcoser, Jr. perdent la vie dans l’accident. Il a écrit la chanson-titre de l’album « Lover’s Plea » cité ci-dessus en hommage à sa compagne.

© : Discogs.

Inévitablement, un tel talent ne pouvait pas laisser indifférent Bruce Iglauer du label Alligator, qui permet à Clark d’enregistrer deux albums somptueux (surtout le premier), « From Austin with Soul » en 2002 et « Deep in the Heart » en 2004. Son ultime effort, le live autopublié « Where you There? », est moins réussi, mais il nous laisse néanmoins une œuvre remarquable qui doit être réestimée. Il y a de cela une vingtaine d’années, W.C. Clark a rencontré son homonyme, lui aussi natif d’Austin, Gary Clark, Jr. Les deux hommes, qui ne se connaissaient pas, auraient peut-être un lien de parenté : ils seraient second cousins, soit en français cousins issus de germains ou cousins au second degré, ce qui désigne en fait des enfants issus de deux cousins germains… Évidemment très respecté par ses pairs, W.C. Clark n’a jamais cessé de s’occuper de jeunes artistes à Austin, où il a continué de se produire jusqu’au bout, donnant son dernier concert au Giddy Ups sur Menchaca Road le 20 février 2024.

© : OFOAM.

Pour que cet hommage soit complet, passons à notre sélection de chansons en écoute.
Rough edges en 1979 par W.C. Clark with the Cobras & Stevie Ray Vaughan.
I only have love for you en 1996.
Concert intégral en 1997.
Lover’s plea en 1998.
Let it rain en 2002.
My Texas home en 2004.
Cold shot en 2005. On comprend mieux pourquoi il a influencé Stevie Ray Vaughan ! Vidéo de sa composition tirée d’un concert au New Morning à Paris.
Shake for me en 2008 avec Gary Clark, Jr.
Take me to the river en 2019.

© : The University Star.