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Fin mars ou début avril 1924, il y a tout juste un siècle et il est donc temps de l’évoquer, les deux premiers disques de blues rural ont été enregistrés par un certain Ed Andrews. Dans un article du 10 septembre 2022, je m’étais déjà arrêté sur les précurseurs du blues rural ou Country Blues, mais il importe d’y revenir à l’occasion des premières faces d’Andrews. Avant lui, seul Sylvester Weaver avait gravé quatre morceaux d’inspiration rurale en octobre et novembre 2023, mais il s’agissait de deux instrumentaux et de deux autres titres avec Sara Martin, une chanteuse urbaine du blues dit classique. Ed Andrews est donc bien le tout premier chanteur-guitariste du blues rural, dans une formule de base qui sera ensuite reprise par tous ses successeurs, et qui surtout influencera tous les courants du blues à venir, c’est dire l’importance de cet artiste.

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Malheureusement, on ignore tout d’Ed Andrews, ses dates et lieux de naissance et de décès sont inconnus ! Et il faut mener des recherches approfondies pour ne finalement recueillir que de maigres informations. Mais le jeu en vaut la chandelle, car l’occasion de commémorer un événement aussi majeur que le centenaire du premier blues rural sur disque ne se représentera pas de sitôt ! Évoquons d’abord le contexte. À partir de 1923, les principales compagnies discographiques des grandes villes du nord des États-Unis, qui ont toutes lancé des séries consacrées aux race records, savent qu’il existe un fort potentiel dans les régions rurales du sud. Mais l’enregistrement électrique n’existe pas encore, il apparaîtra timidement l’année suivante et ne commencera à se répandre qu’en 1925. Dès lors, cela impose de déplacer un équipement conséquent.

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Cela ne rebute pas OKeh, qui après avoir mené de premières campagnes à partir de juin 1923, dépêche une équipe à Atlanta, Géorgie, probablement début avril 1924 ou peut-être quelques jours plus tôt, dans des conditions décrites par Giles Oakley dans The Devil’s Music – A History of the Blues (Da Capo, 1997) : « Le matériel était transporté jusque dans le sud, des studios temporaires étaient montés, dans des hôtels, des salles louées, dans des écoles, et on organisait des files d’attente d’artistes, avec des quartettes vocaux, des pianistes, des harmonicistes, presque toute personne susceptible de produire ce qui pouvait passer pour une chanson. Il semble que l’on doive le premier enregistrement d’un chanteur de Country Blues à un guitariste adepte de la 12-cordes du nom d’Ed Andrews, réalisé pour OKeh à Atlanta en mars ou avril 1924. Sylvester Weaver, un musicien à l’impeccable maîtrise originaire de Louisville, Kentucky, avait enregistré deux instrumentaux mélodieux à New York pour OKeh en novembre 1923 (probablement les deux premiers blues enregistrés à la guitare), mais Ed Andrews fut presque certainement le premier à chanter du blues rural sur disque. »

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En 2015, dans Early Blues – The First Stars of Blues Guitar (University of Minnesota Press), Jas Obrecht revient sur l’événement à partir d’une annonce de Paramount parue le 23 août 1924 dans le Chicago Defender : « Paramount proclame que Papa Charlie Jackson est le « seul homme vivant qui fait du blues en chantant et en s’accompagnant à la guitare ». Une affirmation erronée, car cinq mois plus tôt, une équipe de terrain d’OKeh avait enregistré Ed Andrews, un bluesman rural rustique qui s’accompagnait à la guitare. » Les deux chansons gravées par Andrews sont Barrel house blues et Time ain’t gonna make me stay. Il est difficile de savoir s’il fut influencé par d’autres bluesmen, même si son chant fait penser à Peg Leg Howell (1888-1966), également originaire de Géorgie et qui s’installa à Atlanta en 1923, et sa sonorité à la guitare rappelle un autre grand bluesman de la région, Blind Willie McTell (1898-1959). En tout cas, son style plutôt abouti s’ancre bien dans le premier Piedmont blues, qui s’adoucira quelques années plus tard. Enfin, à partir d’un vers de la chanson Time ain’t gonna make me stay (« Je n’ai personne pour me guider partout où je vais »), certains suggèrent, et ce n’est pas aberrant, qu’il était aveugle et musicien itinérant, et qu’il était peut-être dès lors seulement de passage lorsque OKeh l’a enregistré il y a tout juste un siècle. Il ne gravera plus la moindre face et nul n’entendra plus parler de lui.  Comme quoi, marquer l’histoire peut tenir à bien peu de chose !

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