Il est inexplicable qu’un musicien de la stature de Sammy Price demeure si méconnu de nos jours. Pianiste de grand talent parmi les plus respectés du XXe siècle, mais également chanteur, danseur et chef d’orchestre, il apparut durant quelque six décennies, sous son nom et surtout lors de multiples sessions auprès d’artistes de jazz, de blues, de R&B, de gospel… Samuel Blythe Price, Jr. naît le 6 octobre 1908 à Honey Grove, une petite ville texane au nord-est de Dallas. Dès l’enfance, il se déplace beaucoup avec ses parents, qui déménagent en 1914 à Waco, au sud de Dallas, où il découvre la musique en apprenant d’abord le cor alto. En 1917 ou 1918, il voit pour la première fois à Waco Blind Lemon Jefferson, puis à partir de 1920 quand sa famille s’installe à Dallas. À l’époque il se met également au piano avec Portia Marshall Washington, la fille du célèbre précurseur de la lutte pour les droits civiques, Booker T. Washington.
Price commence à chanter et danser dans les rues (il remportera même un concours de charleston en 1923, à quinze ans), fait d’étonnants et rapides progrès au piano, et malgré son jeune âge, il décroche un petit job chez R. T. Ashford’s Music Shop. À cette époque qui correspond au développement des race records, Ashford bénéficie d’une certaine réputation auprès des labels qui font appel à lui comme découvreur de talents. Et Price joue aussi un rôle dans ce domaine, car selon notamment Robert Palmer dans Deep Blues (Viking, 1981), c’est bien lui qui adresse une lettre à Paramount qui permet à Blind Lemon Jefferson de réaliser ses premiers enregistrements, en décembre 1925 ou janvier 1926. Price dira aussi à Palmer à propos de Jefferson : « À Dallas, il passait toutes ses journées à marcher d’un coin de la ville à l’autre, en jouant et en chantant dans les rues et dans diverses tavernes pour des pourboires. »
Sammy Price connaît d’autres artistes plus âgés que lui dont Ida Cox, Lonnie Johnson et Texas Alexander. À compter de 1925, d’après Bob Eagle et Eric S. LeBlanc (Blues: A Regional Experience, Praeger, 2013), il exerce professionnellement à Athens, au sud-est de Dallas et forme un premier groupe. Son talent naturel, sa polyvalence et son jeu de piano tiré du boogie-woogie attirent l’attention du pianiste et chef d’orchestre Alphonso Trent qui l’engage et l’emmène en tournée dans la région mais aussi en Oklahoma entre 1927 et 1930. Le 26 avril 1929, sous le nom de Sammy Price and His Four Quarters, il enregistre pour le producteur J. Mayo Williams du label Brunswick l’instrumental Blue rhythm stomp. Il figure également sur l’autre face du single, Nasty but nice, mais seulement en accompagnateur du tromboniste Bert Johnson.
Suite à cela, Price ne tient plus en place tout en poursuivant sa carrière qui le mène à Kansas City, Chicago et Détroit, toutefois sans enregistrer. En 1937; il arrive à New York où il retrouve J. Mayo Williams, qui officie alors pour Decca, un label phare de l’époque. Pour Price, c’est le début d’une collaboration de quinze ans avec la marque, qui officiera comme découvreur de talents, compositeur, arrangeur, directeur musical et bien sûr accompagnateur très prolifique. On lui prête ainsi plus de trois cents faces sur la période, en particulier avec des bluesmen, de renom ou plus obscurs, dont Charles « Cow Cow » Davenport, Jimmie Gordon, Trixie Smith, Coot Grant, Johnny Temple, Peetie Wheatstraw, Georgia White et Fat Hayden. Mais il apparaît aussi lors de sessions avec des artistes de jazz et de R&B, (Sidney Bechet, Blue Lu Barker, Bea Booze, Mezz Mezzrow, Hot Lips Page, Cousin Joe, Doc Cheatham, puis plus tard Red Allen…). Enfin, n’oublions pas ses enregistrements dans le domaine du gospel avec Sister Rosetta Tharpe et Marie Knight (dont Up above my head en 1947 !).
Parallèlement, à partir de 1940, il enregistre avec sa propre formation, les Texas Blusicians, dont fait brièvement partie Lester Young. Décidément hyperactif, on le voit en résidence (1943) ou encore fréquemment à l’affiche avec Art Tatum. Il va même faire partie des pionniers du jazz en Europe en participant dans l’orchestre de Mezz Mezzrow en février 1948 au premier festival international de Jazz à Nice, à l’initiative de Jacques Hebey (futur cofondateur de Jazz à Juan) et d’Hugues Panassié, président du Hot Club de France. Un peu plus tard, en 1955-1956, il prend cette fois part à la tournée dans plusieurs pays (France, Espagne, Portugal et Tunisie) des Jeunesses musicales de France, créées en 1944 et qui existent toujours !
Puis, dans les années 1960 et 1970, sans totalement cesser sa carrière Sammy Price s’engage en politique, dans la lutte pour les droits civiques et les personnes défavorisées. Des actions qui se traduisent par des travaux avec Adam Clayton Powell, Jr. (premier Afro-Américain influent au Congrès, élu en 1944 à la Chambre des représentants), Robert Francis Kennedy (sénateur et frère de JFK) et Lyndon Johnson (président des États-Unis de 1963 à 1969). Jusqu’en 1978, Price occupe des postes importants dans le cadre de programmes contre la pauvreté et en faveur des sans-abris. Il reprend ensuite une activité musicale plus régulière, essentiellement dans des clubs de jazz de New York, et publie en 1989 chez Bayou Press son autobiographie, What Do They Want?: A Jazz Autobiography. En 1991, il donne encore des prestations remarquées au Carnegie Hall, puis, le 14 avril 1992, il décède à quatre-vingt-trois ans d’une crise cardiaque, quelque soixante-trois ans après ses premiers enregistrements.
Outre de très nombreux singles de l’époque Decca (1938-1953), Sammy Price est l’auteur d’un grand nombre d’albums (une trentaine !) après sa « parenthèse » politique, soit à partir des années 1970. Mais il fut avant tout accompagnateur et partage une grande partie de ses enregistrements avec d’autres artistes, essentiellement de jazz, ce qui explique qu’il soit peu connu. Voici toutefois une sélection de chansons en écoute.
– Blue rhythm stomp en 1929 par Sammy Price and His Four Quarters.
– Jumpin’ the boogie en 1940 par Sammy Price and his Texas Blusicians.
– Just jivin’ around en 1941 par Sammy Price and his Texas Blusicians (avec Lester Young).
– Mr Freddie blues en 1941 par Sammy Price et Bea Booze.
– Sadie Brown en 1947 par Sam Price et Pleasant Joseph (Cousin Joe).
– Never will I forget the blues en 1947 par The Mezzrow Bechet Quintet avec Sammy Price.
– West end boogie en 1975 par Sammy Price.
– Doc and Sam’s blues en 1976 par Doc Cheatham & Sammy Price.
– My lonesome heart en 1979 par Sammy Price.
– Box Car Shorty’s return en 1983 par Sammy Price.
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