La disparition d’Art Rosenbaum a bien failli m’échapper. Heureusement, l’ami Christian Esther, toujours vigilant, n’a pas manqué d’en parler sur son journal Facebook. Rosenbaum s’est donc éteint le 4 septembre 2022 à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Moins connu que certains de ses pairs, peut-être parce qu’il ne se spécialisait pas seulement dans le blues, ce collecteur de folklore, également artiste et musicien, a pourtant joué un rôle crucial dans les secteur des enregistrements de terrain, en particulier en Géorgie. Il naît Arthur Spark Rosenbaum le 6 décembre 1938 à Ogdensburg, au nord-ouest de l’État de New York, dont il ne gardera aucun souvenir. En effet, son père, affecté au service médical de l’armée, se déplace beaucoup, et durant la Seconde Guerre mondiale, la famille vit à Hattiesburg, Mississippi, et à Augusta, Géorgie, avant de se fixer à Indianapolis en 1947, où Art Rosenbaum grandit.
Rosenbaum dira s’être intéressé à la musique dès cette époque, en écoutant des chants revendicateurs d’artistes de folk comme les Almanac Singers et Pete Seeger. Avec ses grands-parents polonais qui chantaient des airs du folklore yiddish, et son père, qui malgré ses obligations de médecin, interprétait des chants folk, il prit très jeune conscience du rôle de la transmission orale pour ces traditions. Son père jouait également de la mandoline, un instrument alors très prisé avec le banjo, et Rosenbaum décide de se mettre aussi à la musique. Il débute à la guitare à onze ans puis apprend le banjo au lycée (le violon viendra plus tard). De plus en plus impliqué dans le monde du folk et de la country au lycée, il expliquera à Fred C. Fussell (« Art Rosenbaum – An Oral History with the Artist, Author, Musician and Folklorist », Georgia Music, 2006) : « À l’époque, j’écoutais des disques comme « Smokey Mountain Ballads » de Lomax (1), sur lequel on entendait la Carter Family, Uncle Dave Macon, et d’autres… Il y avait aussi l’anthologie d’Harry Smith (2), sortie depuis peu. »
Outre les disques sont premier contact avec le blues serait une rencontre avec un certain Tan Gibbs qui aurait appris auprès de K. C. Douglas. Vers dix-sept ou dix-huit ans, juste avant l’équivalent de notre baccalauréat, la musique l’accapare et il joue avec d’autres lycéens dont Clove Robinson, un banjoïste de Caroline du Nord (Fussell) : « On s’asseyait ensemble et on jouait de la musique chaque vendredi soir. On buvait du vin bon marché en interprétant de tout, de Mercury Ford blues à Cumberland gap. » Et il réalise même ses premiers enregistrements de terrain au même moment ! Fussell rapporte cette anecdote : « L’été, je travaillais dans un hôtel au bord du Lake Michigan. J’y ai fait mes tout premiers enregistrements de terrain dans une petite boutique. Il y avait des ouvriers agricoles mexicains migrants qui jouaient des ballades du temps de Pancho Villa. Bien d’autres ouvriers étaient des Blancs pauvres venus de Caroline du Nord, du Tennessee ou du Missouri. Ils se déplaçaient au gré des récoltes – de cerises, de myrtilles. Ils faisaient plus penser à ces gens évoqués par John Steinbeck dans Les raisins de la colère. Ils n’avaient pas beaucoup d’instruments mais on se débrouillait pour rassembler des mandolines, des violons, des guitares et des banjos, et ils jouaient. »
Peu après, il redécouvre par hasard le chanteur et guitariste de blues Scrapper Blackwell, mais sans savoir de qui il s’agissait ! Mais il l’enregistrera quelques années plus tard. Rosenbaum, désormais étudiant, poursuit de brillantes études d’histoire de l’art et aux beaux-arts, pour devenir un illustrateur (peintre, dessinateur) réputé. Il obtiendra de prestigieuses bourses d’excellence Fulbright qui lui permettront d’étudier en France (1964-1965) et en Allemagne. Durant trente ans, de 1976 à 2006, il enseignera à l’université de Géorgie à Athens, et ses œuvres feront l’objet de nombreuses expositions. Bien qu’il soit désormais décédé, on peut sur son site Internet se faire une idée de ses réalisations, qui comprend des tableaux, des dessins, des fresque murales…
Parallèlement, et particulièrement avec son épouse Margo Newman Rosenbaum, photographe professionnelle et également peintre, Art Rosenbaum mène donc d’importantes campagnes d’enregistrements de terrain, surtout à partir des années 1970. Ces travaux, dont beaucoup sortiront chez Flyright et Folkways, portent sur le folk, la country, la musique cajun, le gospel et bien sûr le blues, et permettront de nous faire connaître bien des artistes obscurs mais talentueux, notamment en Géorgie. En 2008, il obtient une consécration méritée : sa magnifique anthologie « Art of Field Recording – Volume 1 » parue chez Dust-to-Digital (4 CD, 110 chansons) est récompensée d’un Grammy Award. Le troisième CD est totalement dédié au blues. Plus centrés sur la Géorgie, les deux volumes « Folk Visions and Voices: Traditional Music and Song in Northern Georgia » (Folkways, 1984) sont également chaudement recommandés. N’oublions pas le label français Dixiefrog, « Black & White Recorded in the Field by Art Rosenbaum » Enfin, Rosenbaum nous laisse quelques livres dont un portant presque le même titre que la série citée précédemment (Folk Visions and Voices: Traditional Music and Song in Northern Georgia (University of Georgia Press, 2013) et Shout Because You’re Free; The African American Ring Shout Tradition in Coastal Georgia (University of Georgia Press, 2013), avec des photographies de sa femme. Dans son émission L’épopée des musiques noires du 13 novembre 2010 sur France Musique, Joe Farmer revient sur le parcours de cet acteur essentiel des musiques folkloriques américaines du siècle dernier.
(1). « Smokey Mountain Ballads », une compilation d’enregistrements folk et country par John Lomax, datant de 1941.
(2). « Anthology of American Folk Music » (Folkways, 1952). L’édition originale compte 3 disques et 84 chansons couvrant la période 1926-1933, le troisième étant consacré aux bluesmen. Une œuvre essentielle plusieurs fois rééditée.
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