Cet artiste est le premier à faire l’objet d’un portrait depuis la création (récente) de cette rubrique régulière consacrée aux musiques guadeloupéennes. Certes, Stellio était originaire de la Martinique, mais son influence considérable s’exercera sur de nombreux musiciens guadeloupéens dès l’âge d’or de la biguine à partir des années 1930. Cela nous donne aussi une nouvelle occasion, dans la lignée de notre conférence « Musiques antillaises et afro-américaines, une histoire parallèle » (notre article du 12 septembre 2023), de nous arrêter sur une des passerelles qui existent entre ces deux cultures aux nombreux points communs.
Fructueux Alexandre dit « Stellio » naît le 15 avril 1885 aux Anses-d’Arlets au sud-ouest de la Martinique. Il doit toutefois attendre 1892, soit l’âge de sept ans, pour faire la connaissance de son père, un marin-pêcheur du nom d’Émile Alexandre qui reconnaît sa paternité puis disparaît à nouveau de la circulation… Face à des conditions de vie précaires, la mère de Fructueux décide de s’installer à Saint-Pierre avec ses quatre enfants, puis à Fort-de-France en 1896. Deux ans plus tard, tous partent cette fois pour la Guyane, alors réputée pour ses gisements aurifères. Fructueux ne semble pas participer à cette ruée vers l’or, et avec son frère Théramène, il se fixe à Cayenne et montre des dons certains pour le spectacle de rue et comme… flûtiste !
Mais la flûte n’est pas un instrument très en vogue et Fructueux se tourne vers la clarinette, auprès d’Isambert dit « Serpent Maigre », lui aussi d’origine martiniquaise. Sa maîtrise lui vaut rapidement des engagements dans les années 1910 dans des clubs et dancings de Cayenne, dont le Petit Balcon alors très prisé. Il se fait désormais appeler Stellio, un surnom qu’il devrait à un admirateur italien de passage…. Il joue aussi lors des projections de films muets au cinéma, et en 1919, il retrouve la Martinique à Fort-de-France, où il se produit également dans des salles de cinéma et des dancings avec d’autres artistes dont le multi-instrumentiste Ernest Léardée (violon, saxophone et clarinette) et un autre clarinettiste, Léon-Lazare Apanon. Tous s’expriment dans un registre de dancings et de cabarets, inspiré de celui des Folies-Bergères, mais on note que Stellio, alors « pilier » du Sélect Tango », compose une première biguine dès 1922, intitulée Quand même.
Car leur musique intègre progressivement des ingrédients issus du jazz et bien sûr de la biguine dont ils font partie des pionniers. Dans la deuxième moitié des années 1920, la biguine jouit d’une grande popularité en Martinique. En outre, l’industrie discographique est en plein essor depuis quelques années. Aux États-Unis, cela se traduit par les premiers enregistrements de jazz (1917), de blues (1920) ou encore de gospel (1926). À La Nouvelle-Orléans en Louisiane, le premier jazz de type Dixieland fait fureur et présente d’étonnantes similitudes avec la biguine, en termes d’instruments, d’arrangements et d’interprétation. On admet aujourd’hui que la biguine est bien en quelque sorte un ancêtre du jazz qu’elle a donc influencé, mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir. Mais, à l’instar des régions rurales du sud aux États-Unis, la Martinique ne dispose pas de studios d’enregistrement.
Et Stellio, malgré sa réputation locale et son talent, n’a pas le choix, comme la plupart de ses pairs il doit partir pour la France hexagonale s’il veut donner une autre dimension à sa carrière. Le 27 avril 1929, il embarque sur le Pellerin-de-Latouche et arrive le 9 mai au Havre. Une fois à Paris, il est au programme de différents lieux dont le Bal de la Glacière, le Canari, le Rocher de Cancale et le fameux cabaret de la Boule Blanche, tout juste inauguré. Mais Alexandre Stellio va marquer l’histoire d’une autre façon. Le 16 octobre 1929, il entre en studio et grave pour Odéon deux faces, En sens unique S.V.P. et Ah ! Gadé chabine la. Il s’agit tout simplement des premiers enregistrements de biguine de l’histoire !
Désormais figure du proue du genre, il permet à cette musique de toucher un plus large public, notamment lors de l’exposition coloniale et internationale de Paris en 1931. Peu après, Stellio ouvre son propre cabaret, le Tagada Biguine. Il doit toutefois fermer l’établissement en 1934 suite à des plaintes de voisins qui l’accusent de tapage nocturne ! Rien ne semble toutefois l’arrêter, il se produit abondamment et enregistre entre 1929 et 1939 cent-vingt-huit faces (beaucoup de biguines, mais aussi des valses et des mazurkas jazzy), un chiffre considérable pour l’époque. Alexandre Stellio souffre de problèmes de cœur mais il ne se ménage pas. Le 15 avril 1939, jour de son anniversaire, il s’effondre sur la scène d’un cabaret parisien en pleine prestation, victime d’une crise cardiaque. Il ne s’en remettra jamais et quittera ce monde le 24 juillet 1939 à l’âge de cinquante-quatre ans.
Compte tenu de l’étendue de son répertoire, nous avons l’embarras du choix pour notre sélection de chansons en écoute.
– Ah ! Gadé chabine la en 1929. La première biguine jamais enregistrée !
– Serpent maigre en 1929.
– Oué, oué, oué, oué en 1931.
– La peau fromage en 1933.
– Calalou en 1934.
– Chanson cannes en 1935.
– Douce espérance en 1937.
– Pleurez, pleurez, chabin en 1939.
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