Jacquette de l’album Jack Owens & Eugene Powell (1993). © : Hannes Folterbauer / Stefan Wirz.

Comme nombre de bluesmen de sa génération, sa carrière est coupée en deux. Ce multi-instrumentiste très accompli commence en effet par graver quelques faces en 1936, la plupart sous le pseudonyme de Sonny Boy Nelson, puis disparaît de la scène avant de réenregistrer quelque trente-cinq and plus tard, cette fois en utilisant plutôt son nom de naissance, Eugene Powell. Il voit le jour le 23 décembre 1908 à Utica, petite ville du Mississippi située une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Jackson. Sa mère, Rosie Taylor, est afro-américaine, alors que son père, Armand Powell, est blanc. Ce dernier abandonne toutefois sa famille qui s’est installée plus au nord à Lombardy, à deux pas du pénitencier de Parchman Farm et donc cette fois en plein Delta.

© : Stefan Wirz.

À sept ou huit ans, sa mère lui achète une guitare à 3 dollars, et il apprend très vite au point de divertir les travailleurs de la plantation sur laquelle il grandit près de Shelby, et même le personnel de Parchman Farm ! Il est alors accompagné de son demi-frère Bennie « Sugar » Wilson, adepte du banjo-mandoline. Peu après, il perd son œil droit en jouant avec un arc et des flèches, puis sa famille déménage à Hollandale, toujours dans le Delta. Il rencontre inévitablement Henderson Chatmon (né esclave vers 1850, mort en 1934), patriarche de la famille Chatmon dont le style préfigure le blues et père d’au moins treize enfants. La plupart firent carrière dans le blues, les plus célèbres étant Armenter (aka Bo Carter), Sam et Lonnie, membres fondateurs des futurs Mississippi Sheiks qui débuteront leur brillante carrière en 1930.

Mississippi Matilda. © : Steve LaVere / Stefan Wirz.

En côtoyant de tels musiciens, Powell, de toute façon naturellement doué, se forme sur de nombreux instruments : à la guitare, qu’il privilégiera durant sa carrière, et au banjo-mandoline sans doute appris avec son demi-frère, il ajoute l’harmonica, le banjo, la mandoline, le violon et différents cuivres ! Un bagage qui lui permet ainsi d’évoluer entre Country Blues et string band, d’autant que ce musicien très complet a l’idée d’ajouter une pièce métallique à l’ouïe de la table d’harmonie (pour un effet « résonateur ») et une septième corde à sa guitare, ce qui lui confère un son très singulier. Jouissant d’une belle popularité locale, il adopte le pseudonyme de Sonny Boy Nelson et se produit régulièrement, notamment avec Richard « Hacksaw » Harney (chanteur, guitariste et pianiste) et la chanteuse Mississippi Matilda, qu’il épouse en 1935.

Willie Morris, Richard « Hacksaw » Harney, Sam Chatmon & Eugene Powell, Washington, 1972. © : Diana Davies / Stefan Wirz.

Le 15 octobre 1936, avec sa femme, le chanteur-guitariste Willie Harris, le chanteur-harmoniciste Robert Hill et Bo Carter, il se rend au St. Charles Hotel à La Nouvelle-Orléans où il enregistre pour Bluebird. Ces différents artistes s’accompagnent les uns les autres, mais à l’issue de la session, Sonny Boy Nelson a réalisé six faces sous son nom (avec Willie Harris et probablement Bo Carter sur une chanson), auxquels il faut en ajouter quatre comme accompagnateur de Mississippi Matilda et dix de Robert Hill. Malgré leur qualité, la belle voix expressive et le jeu de guitare riche et parfaitement maîtrisé de leur auteur, elles ne permettront pas à leur auteur de repasser en studio, qui décide alors de fonder une famille. Dans les années 1940, les Powell vivent à Greenville et le mari travaille pour John Deere, une entreprise de matériel agricole, tout en restant actif dans la musique en gérant un petit juke joint. En 1952, le couple se sépare et sa femme part pour Chicago avec leurs six enfants.

© : Massive Music Store.

Powell semblait devoir rester dans l’anonymat malgré le Blues Revival, mais en 1970, Gene Rosenthal l’enregistre pour son label Adelphi Records (mon article du 14 décembre 2023). Des enregistrements restés inédits mais la carrière de Powell est néanmoins relancée. Ses faces de 1936 apparaissent sur des compilations, il se produit lors de festivals importants, et le 8 août 1976, il réalise pour le label italien Albatros son seul album complet, « Police in Mississippi Blues », qui sort deux ans plus tard. Mais il fait de fréquentes apparitions sur disque, en 1979 avec Sam Chatmon (on peut voir les deux hommes dans le film Mississippi Delta Blues, sorti l’année suivante), en 1981, en 1985 (à nouveau sous le nom de Sonny Boy Nelson), en 1982, en 1991… En 1988, le label Wolf édite l’album « Southern Blues », enregistré trois ans plus tôt, sur lequel toute la face B est dédiée à Powell (Sleepy John Estes & Hammie Nixon pour la face A). Enfin, en 2013, soit bien après la mort du bluesman, Mbirafon sort « Eugene Powell – Blues at Home 3 », une compilation de vingt-quatre chansons enregistrées entre 1976 et 1982, qui comprend une partie de celles sorties par Albatros mais surtout dix inédits. Sonny Boy Nelson/Eugene Powell ne cessera jamais vraiment de jouer malgré une santé déclinante dans les années 1990, avant de s’éteindre le 4 novembre 1998 à quatre-vingt-neuf ans.

© : Discogs.

Voici maintenant mon habituelle sélection de chansons en écoute.
Pony blues en 1936 par Sonny Boy Nelson, son premier titre.
Pal, how I miss you tonight en 1936 par Robert Hill, avec Eugene Powell et Willie Harris.
Hard working woman blues en 1936 par Mississippi Matilda avec Eugene Powell et Willie Harris.
Low down en 1936 (et non 1937 comme le mentionne YouTube) par Sonny Boy Nelson avec Willie Harris et probablement Bo Carter.
Blues jumped a rabbit en 1976 par Eugene Powell.
Greenville boogie en 1978 (et non 1976 comme le mentionne YouTube) par Eugene Powell.
We going round the mountain et How long that evening train been gone? en 1979 par Sam Chatmon & Eugene Powell (vidéo du film Mississippi Delta Blues de 1980).
Face B de l’album « Southern Blues » en 1985 par Eugene Powell.

À La Nouvelle-Orléans en 1996. © : Leon Morris / Redferns / Getty Images.